Ephémère ?
Pierre Scheidegger | J’apprécie les comparaisons… mais il est vrai aussi qu’il ne faut pas essayer de les oublier.
Je regardais, au-dessus d’une flaque d’eau un peu saumâtre, une nuée de petits papillons gris-bleu qui voltigeaient frénétiquement. Un peu comme s’ils dansaient. Je m’approchais pour mieux les observer et remarquais qu’on aurait pu penser qu’ils volaient… en couple.
Curieux, je découvre que ce sont des éphémères, qui ont la particularité de ne vivre qu’un ou deux jours, soit à la fin de leur danse nuptiale. Ce qui est étrange, c’est qu’à l’état de larves ils vivent plusieurs années. Je n’ai pu m’empêcher de faire plusieurs comparaisons. Oui ! Vraiment, souvent ce que tu vis a l’étonnante particularité d’être oublié par beaucoup ou être éphémère pour soi-même. J’en ai pour preuve le sport, la gloire. Peut-être la vie.
Prenons pour exemple le champion ! C’est presque une allégorie. Il est le meilleur, le plus beau, le plus adulé… quasi imbattable ! Une figure médiatique, une image publicitaire. Presque un dieu ! On en oublie l’homme, la femme, tant l’argent et la gloire en sont devenus le véhicule. On ne désire plus que du spectacle.
Vient alors un « illustre inconnu » qui court un millième plus vite que lui, saute un centimètre plus haut ou plus loin et déjà il n’est plus rien ! Du moins presque.
Tellement éphémère !
Rien n’est acquis définitivement. Ni l’amitié, ni aucune relation et encore moins la gloire sportive. Ne jamais oublier ses fondamentaux… ses acquis et surtout ne pas les mépriser ! J’en veux pour preuve. A plusieurs reprises, nous nous sommes rencontrés lors de meetings, de compétitions internationales. Il venait de participer à des Jeux olympiques faisant partie de l’équipe du relais 4 x 100 mètres de son pays. Par ses contacts et connaissances, il décida de terminer ses études en Suisse et gagna moult compétitions nationales et internationales ! Un grand champion et une sacrée vedette adulée de tous et de toutes sans se départir d’une certaine gentillesse. Que cachait-il ? Lui qui avait tout ! A qui tout semblait réussir. Bien sûr, comme tout un chacun, il avait aussi ses « petits défauts ». Est-ce la gloire, sa nouvelle situation dans notre société ? Pensait-il avoir le pouvoir sur les limites… à ne pas franchir ?
Des erreurs, il en a commises ! La société, carnassière en ces situations, ne lui a pas tendu la main. C’est rare qu’elle pardonne à ceux qu’elle a adorés, surtout quand elle se sent trompée, flouée. Elle décide la sanction sans état d’âme ! Il a tout perdu… vraiment tout, et il est retourné dans son pays. Sa gloire, ses titres et victoires alors aujourd’hui si éphémères… c’est tout ce qu’il lui reste. Souvenirs funestes ; malade, le réalise-t-il ? Difficile de se l’imaginer !
Attristant, cependant il est le seul responsable ! Vraiment ? De temps à autre, un téléphone ! Un vieil homme vivant de ses fantômes et peut-être ses fantasmes du passé. Tragique… presque une histoire grecque, et pourtant tellement réelle. Non ! Le sport n’autorise pas tout. Il peut devenir souvenir ou l’antichambre de l’enfer qui, lui, n’est pas totalement éphémère ! Je garderai de lui les bons moments sportifs vécus ensemble, avant qu’il ne soit pris dans les tourbillons de « sa gloire », si néfastes au suivi de son existence.
La vie, le sport ne peuvent pas être ou ne sont pas… que de beaux souvenirs ou une saine réalité ! Que chaque entraîneur, responsable sportif et dirigeant n’oublient jamais de passer ce témoin que représente la culture sportive à notre jeunesse. En ces temps quelque peu troubles de la « planète sport », on l’ignore trop souvent à son propre avantage. Dommage ! Et pourtant ce serait la plus belle des victoires.
Pierre Scheidegger, Panathlon-Club Lausanne