Dialogue… ou confrontation ?
Une belle exposition à Martigny met en exergue les différences entre Renoir et Cézanne
A priori, la volonté de réunir ces deux géants de la peinture nous paraissait un peu artificielle. Mais nous n’allions pas bouder notre plaisir de voir de tels chefs-d’œuvre ! Or l’exposition s’avère très pertinente dans son propos. Certes, les deux artistes avaient des points communs. Ils étaient liés par une authentique amitié, malgré leurs caractères fort différents : ombrageux chez Cézanne, radieux chez Renoir. Tous deux avaient passé par l’Impressionnisme, comme en témoigne par exemple une Marine à Guernesey de Renoir, très proche de Monet. Mais tous deux s’en sont éloignés, pour pratiquer une peinture résolument personnelle. Pour faire court et résumer leurs chemins distincts : Renoir est resté très tributaire de la grande tradition classique, et notamment de l’art du XVIIIe siècle français. Il voulait qu’un tableau soit « une chose aimable, joyeuse et jolie, oui jolie ! », avec une palette de couleurs chatoyantes. Cézanne, lui, s’est davantage intéressé à la structure des objets et des corps, les épurant, les simplifiant, jusqu’à les réduire à des formes géométriques. Tout est dit : il annonce l’art du XXe siècle et notamment le Cubisme. Les adeptes de ce dernier le tiendront d’ailleurs pour leur précurseur et leur « père à tous » ! Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de dire que l’une de leurs œuvres respectives est « supérieure », voire « meilleure » que l’autre. Ce sont simplement deux démarches assez opposées. Et cela, toute l’exposition, à travers ses différentes sections, va le mettre en évidence.
Prenons pour commencer leurs bouquets de fleurs. Ceux de Renoir éclatent de couleurs chaudes, ils sont vus de manière frontale et sur un fond neutre, comme le faisait aussi Fantin-Latour. Cézanne, lui, soigne ses cadrages et accompagne les bouquets de céramiques ou de fruits. La structure est pour lui plus importante que le plaisir immédiat des yeux. Il en va de même pour leurs natures mortes. Comparons leurs représentations des fruits. Les pommes, poires et pêches de Renoir ont le duvet de la carnation féminine, et ses fraises sont « à croquer », comme chez Chardin un siècle auparavant. Les fruits de Cézanne se réduisent de plus en plus à des formes géométriques simples, ce que l’on retrouvera par ailleurs aussi chez les peintres de la Nouvelle Objectivité des années 1930.
La différence entre les deux artistes est encore plus flagrante dans leur représentation du corps féminin. Renoir aimait les femmes, la texture de leur peau, leurs douces rondeurs, leurs visages jeunes et souvent mutins. Les Baigneurs et Baigneuses de Cézanne, au visage quasi absent, sont plus sculpturaux.
Là où notre prédilection va à Renoir, c’est dans sa magistrale représentation des jeunes filles (par exemple au piano) et des enfants, dont il saisit l’esprit d’innocence. Ce ne sont pas des « enfants sages » de Anker, futures maîtresses de maison en train de filer ou de tricoter… Ils et elles jouent avec attention, se disent des choses à l’oreille, leurs yeux pétillent, ils respirent la douceur, dans des huiles qui font songer à des pastels aux couleurs un peu évanescentes. En revanche, là où Cézanne l’emporte, c’est dans ses visions de la nature, aux arbres dépouillés de leurs feuilles, formant une sorte de géométrie spatiale. Sans parler de ses célébrissimes « séries » consacrées à la Montagne Sainte-Victoire dans sa chère Provence, où il fuyait les mondanités parisiennes.
Quel que soit l’artiste vers lequel ira votre préférence, cette exposition constitue un dialogue fort intéressant, et surtout régalera vos yeux.
« Cézanne – Renoir. Regards croisés », Martigny, Fondation Pierre Gianadda, jusqu’au 19 novembre.