Deuxième vague : double peine pour la restauration
Cafetiers, restaurateurs et propriétaires de club se sont réunis le mardi 10 novembre pour faire bouger les choses
Thomas Cramatte | Le monde de la restauration est à nouveau le premier touché par les récentes mesures. Cafetiers, restaurateurs et propriétaires de club
se sont réunis le mardi 10 novembre pour faire bouger les choses. Dressant tables et banderoles, la place Saint-François de Lausanne était témoin de leurs revendications : obtenir l’aide de l’Etat.

La restauration est le secteur économique le plus touché et la situation ne cesse d’empirer
Faillites annoncées
La fermeture généralisée des établissements gastronomiques depuis le 4 novembre met à mal tous les professionnels de ce secteur, déjà affaibli depuis le début de la crise. « Tout ce qu’on demande, c’est de pouvoir travailler à nouveau. Ne serait-ce que pour nous permettre de vivre », explique Fabrice Hochard, restaurateur à Palézieux-Gare. Malgré l’autorisation d’accueillir à nouveau une clientèle dès le 11 mai, deux établissements sur cinq pourraient ne pas
survivre en début d’année prochaine. La faîtière GastroVaud est unanime, si le secteur de la restauration n’obtient pas le renfort des autorités fédérales et cantonales d’ici la fin de l’année, 35% des établissements vaudois devront déposer le bilan. Du côté national, la situation n’est pas meilleure, Gastrosuisse estime en effet que la crise du coronavirus menace 100’000 emplois, sur les 265’000 que compte ce secteur dans le pays. Réinventant la profession à grand renfort de livraison à domicile ou de menus à l’emporter, les cafetiers-restaurateurs demandent une aide rapide de l’Etat. Si des négociations sont actuellement en cours à Berne, les subventions ne seront pas aisées à répartir et prendront par ailleurs un certain temps avant de pouvoir venir en aide au secteur gastronomique. « L’urgence est de trouver 50 millions pour sauver les salaires de novembre », transmet Gilles Meystres, président de GastroVaud et membre du Grand Conseil vaudois, par téléphone. Pour la faîtière, cela ne fait aucun doute qu’une telle dépense coûterait moins cher à l’Etat plutôt que de retrouver des employés au chômage, d’avoir des dettes impayées et des arriérés d’impôts qui ne seront jamais payés.
Revendications publiques
Pour sensibiliser les politiques et les passants, un mouvement spontané a été créé par les tenanciers d’établissements lausannois. Avec un nom évocateur, #QUIVAPAYERLADDITION souhaite sauver ce qui peut encore l’être. « Notre monde est à l’arrêt depuis mars. Si cela continue, nous serons nombreux à mettre la clé sous la porte », s’insurge Frédérique Beauvois, propriétaire du Café de Grancy à Lausanne et coorganisatrice du mouvement. Ce sont les gérants des clubs lausannois qui ont d’abord formé la communauté #QUIVAPAYERLADDITION. Il faut prendre note que ces lieux de fêtes ont été inactifs pendant plusieurs mois. Ils ont en effet été contraints de fermer avant les restaurants et n’ont été autorisés à rouvrir qu’à partir du 27 mai dernier. Si les gérants des discothèques appréhendaient la recrudescence du virus, ils ne s’attendaient pas à devoir refermer aussi tôt. « Nous avons été obligés de cesser toute activité depuis le 17 septembre. Nous avons tout juste pu travailler cinq mois cette année. Comment voulez-vous assurer le paiement des charges avec si peu d’entrée d’argent », questionne Fabien Gehrig, gérant du Folklor club à Lausanne. Rejoint par l’ensemble de la branche 7 semaines plus tard, #QUIVAPAYERLADDITION ne cesse d’accueillir de nouveaux professionnels de la restauration. « Si nous saluons le bonus de 10% qui a été offert aux employés via les RHT (indemnité pour réduction de l’horaire de travail), il est important de comprendre que l’employeur, de son côté, doit toujours payer ces contributions sociales. Pire encore, notre statut d’indépendants ne nous permet pas de bénéficier des RHT, notre salaire est plafonné à 3200 francs brut, soit 600 francs de moins que le minimum vital suisse », précise Monsieur Betennelli, gérant du restaurant Brew à Vevey. Lors de la première vague, le prêt Covid-19 avait permis à de nombreuses entreprises tous domaines confondus d’obtenir une sécurité financière. « Il est important de rappeler qu’il s’agit bel et bien d’un prêt et non de subsides comme dans d’autres secteurs comme la culture et le sport ». L’action orchestrée par le mouvement #QUIVAPAYERLADDITION se voulait symbolique, avec 86 tables vides dressées de manière à montrer la situation à laquelle font face les cafetiers et restaurateurs. Afin de respecter la limite de cinq personnes se réunissant sur les lieux publics, les organisateurs avaient informé préalablement les participants. « Nous aurions voulu manifester de manière classique, mais ne voulions surtout pas enfreindre la loi. Nous avions peur que les forces de l’ordre interviennent », explique Frédérique Beauvois. Pour éviter toute échauffourée, les manifestants étaient invités à venir déposer une table et à repartir aussitôt. Malgré cela et à la surprise des organisateurs, la police lausannoise a révélé avoir dénoncé plus de 26 personnes à la préfecture en fin de semaine. Si le résultat de ces dénonciations n’est pas encore connu, le président de GastroVaud, Gilles Meystres, a d’ores et déjà annoncé la prise en charge des éventuelles amendes par solidarité. « On ne risquait pas plus de contracter le virus à Saint-François qu’en faisant ses courses ».
Fermeture expéditive
« On nous coupe l’herbe sous les pieds alors que les statistiques ont démontré qu’à peine 6% des contaminations venaient du monde gastronomique dans le canton », s’insurge Fabrice Hochard. Pour lui comme pour la majeure partie des restaurateurs, cette nouvelle obligation de fermeture a été précipitée et même violente : « On nous ferme nos établissements en moins de 24 heures. Nous avons l’impression d’être les pestiférés de cette crise ». Pour ne rien arranger, on observe des disparités selon les types d’établissements. Si tous les restaurateurs peuvent pratiquer de la vente à l’emporter, les horaires d’ouverture varient en fonction des patentes. Les fast-foods peuvent ainsi proposer des mets à partir de 8 heures alors que les établissements classés « restaurant » peuvent proposer le même service qu’à partir de onze heures. Si cette disparité n’est qu’une mince partie du problème auquel sont confrontés les restaurateurs, ils méritent qu’on leur apporte du soutien et que l’on favorise la vente à l’emporter.

Comment sauver la restauration
« Avec des centaines de milliers d’emplois, le monde de la restauration est le plus gros employeur du canton de Vaud. Un secteur économique qui se retrouve sans ressources et avec une expropriation de sa manière de travailler. Aujourd’hui, les cafetiers, restaurants ont besoin que l’Etat finance ses charges fixes », explique avec émotion le gérant du Brew. « De leur côté les restaurateurs sont prêts à prendre en charge la perte de leur investissement, cela fait partie du risque entrepreneuriat ». Si le message lancé par le mouvement #QUIVAPAYERLADDITION et les faîtières est destiné au Conseil d’Etat, nous pouvons tous faire un geste afin de soutenir les cafetiers et restaurants. Ne serait-ce qu’en allant par exemple chercher un menu du jour ou un souper à déguster chez soi.
Les revendications en détail
> Supprimer ou compenser les charges sociales liées aux RHT (indemnité pour réduction de l’horaire de travail).
> La mise en place d’une véritable répartition des coûts des loyers commerciaux entre locataires, bailleurs et l’Etat de Vaud.
> Suspension de la loi sur les poursuites et faillites le temps de cette crise sanitaire.
> Indemnisation à hauteur du préjudice subi suite aux restrictions appliquées depuis mars.