Deux films franco-suisses en salle cette semaine
Chienne de Rouge, de Yamina Zoutat
Le nouveau long-métrage de l’ancienne chroniqueuse judiciaire Yamina Zoutat, co-produit par la France et la Suisse, Chienne de rouge s’annonce comme un projet passionnant : se mettre en quête du sang, omni-présent mais souvent oublié, invisible ou passé sous silence.
Conceptuellement, Chienne de Rouge est génial : il fonctionne comme un organisme dans lequel la réalisatrice se serait promenée caméra à la main à bord de vaisseaux sanguins. Sur sa route, les protagonistes sont un convoyeur, une femme dont la vie a été sauvée grâce à un don de sang, une doctoresse et une chienne de rouge qui, comme la réalisatrice, piste le sang dans les forêts. « Je me suis réveillée un matin avec ce désir, celui de filmer du sang » nous dit Yamina Zoutat aux premières secondes de son film. Chienne de Rouge est servi par la très belle écriture de sa réalisatrice et par sa voix-over qui semble assez typique de sa génération, intime et incarnée. Elle suit ses protagonistes et sa voix pour arriver au cœur du sujet : ce que le sang fait et dit de nos identités (don de sang), de notre condition humaine (greffe), de notre histoire (sida et attentats) et de nos étapes de vie (menstruations).
Néanmoins, au-delà du concept, le film pêche dans ce qu’il donne à voir. Par son approche thématique, les protagonistes semblent très à distance, malgré les sourires qu’ils lancent parfois à la caméra ou les discussions à bord de la voiture du convoyeur. Par leur présence en alternance avec celle hors-champ de la réalisatrice, divers aspects du sujet sont abordés. Mais quelque chose manque pour que l’on puisse intégrer l’organisme de Chienne de Rouge, et ce quelque chose est probablement un défaut d’images. Très descriptives, elles semblent parfois illustrer un peu simplement. Parce que le propos guide ce film thématique, l’image apparait comme une accompagnatrice un peu négligée du beau projet qu’est Chienne de Rouge. On aurait pu souhaiter dès lors que la voix prenne encore plus de place, ou que l’image assume la sienne.
« Chienne de Rouge », documentaire de Yamina Zoutat, Suisse, 2023, 94’, VF, 16/16 ans
Avant-première en présence de la réalisatrice Yamina Zoutat, dimanche 22 septembre, 18h au Cinéma d’Oron
Le procès du chien, de Laetitia Dosch
Le premier film de Laetitia Dosch est sorti la semaine passée après une belle première en sa présence au Capitole. L’actrice franco-suisse qui a fait sa formation à la Manufacture et qui a notamment été reconnue pour ses rôles chez Justine Triet ou Léonor Serraille signe un premier film comique sur le procès d’un chien récidiviste qui aurait mordu plusieurs femmes.
Dans Jeune femme (Léonor Seraille, 2017) ou dans Vilaine fille, mauvais garçon (Justine Triet, 2012), Laetitia Dosch incarne fréquemment des femmes un peu paumées, oscillant toujours entre le tragique et le comique. Il est donc passionnant de voir comment elle se met elle-même en scène dans Le Procès du chien, puisqu’elle y incarne le rôle principal, celui d’Avril, avocate des causes perdues et ici du chien Cosmos. Là encore, elle interprète une femme qui cherche sa voie comme sa voix – sans cesse trop aiguë quand elle veut s’imposer : « Quand est-ce que j’arriverai à parler comme je suis ? » dit-elle comme pour résumer toute une condition d’aliénation. Le film comporte une séquence littéralement coup de poing, dans laquelle Avril pète un plomb et, comme le chien qu’elle défend, agresse un homme qui l’insulte. Le film est par instant fébrile, comme sa protagoniste. Il entrechoque des séquences comme des registres, à l’image d’une scène qui semble tombée du ciel. Un homme courtise Avril au supermarché. Ils échangent quelques mots d’une honnêteté extraterrestre, au clair de lune devant Manor, comme dans un rêve. Si le film tourné exclusivement à Lausanne est hilarant par instants, il en émane un tragique final dévastant, que le comique à fleur de peau de Dosch rend
d’autant plus déroutant.
« Le procès du chien », fiction de Laetitia Dosch, Suisse / France, 2024, 80’, VF, 16/16 ans