Cunningham : corps vibrants
Charlyne Genoud | Il y a un sas d’entrée au documentaire Cunningham, et c’est un tunnel. Au bout de ce dernier, un danseur nous attend pour entreprendre la première chorégraphie d’une passionnante ribambelle de reprises des œuvres de Merce Cunningham. Nulle musique ne l’accompagne comme pour fournir un socle à ce que dira par la suite le chorégraphe lors d’une interview : « Le silence n’existe pas ». Au fil des danses, on se surprend à entendre vibrer ces chorégraphies rythmées majoritairement par les bruits devenants hypnotisants de pieds touchant le sol et de mains effleurant les décors parfois volatiles. Par l’observation de ces mouvements émancipés du règne musical, le film capture ce qui fut au siècle passé une toute nouvelle perception de la danse.
Qui es-tu, Merce Cunningham ?
Dans les interviews d’époque insérées dans le film, des journalistes s’évertuent à demander au chorégraphe s’il se considère comme un artiste de l’avant-garde, un chorégraphe, un patriarche ? A toutes ces interrogations, Merce répond qu’il est un danseur, et que ceci lui suffit amplement. Sans s’encombrer des mythes du milieu artistique de l’époque, Merce Cunningham se caractérise peut-être par son envie d’aller droit au but : « Nous n’interprétons pas, nous faisons » clame-t-il. Ce que souligne cette phrase par ailleurs, c’est que Cunningham se définit par un nous. Le pronom désigne sa compagnie de danse, mais aussi le couple qu’il forme avec son musicien John Cage, et finalement ses diverses collaborations avec des pionniers de son temps comme Andy Warhol, Jasper Johns ou Robert Rauschenberg avec qui il dit avoir deux choses en commun « nos idées et notre pauvreté ».
Décors des corps
Le montage très particulier de Cunningham permet d’articuler les images d’archives - sur lesquelles se juxtaposent des manuscrits de l’hyperactif Merce qui tricote et apprend le russe à ses heures perdues – avec des remakes de ses chorégraphies faisant montre de scénographies incroyables. Parfois en pleine forêt, les danseurs semblent remuer la terre et faire vibrer le sol par leur mouvement. D’autres fois, ce sont des décors plus artificiels mais non moins impressionnants qui accueillent les performeurs, comme cette salle noire remplie de ballons conçus originellement par Andy Warhol, ou encore un décor modélisé en 3D à partir d’une ample œuvre pointilliste peinte par Rauschenberg pour une représentation, en plus de costumes assortis qui décorent les corps en mouvement.
Réactualiser pour mieux régner
Reprendre ces chorégraphies au cinéma aujourd’hui est particulièrement intéressant pour deux raisons : d’abord, car les images d’archives en noir et blanc – bien qu’elles apportent beaucoup au film dans un second temps - peinent à retranscrire la force des représentations de l’époque. Ensuite, parce que les mouvements de caméra permettent de découvrir ces représentations de toutes parts, et de se jouer des points de vue pour révéler tous les angles de ces corps en mouvement. Le tout fonctionne ainsi comme une fabuleuse réactualisation de ce travail d’avant-garde. Le film permet ainsi de « laisser la forme d’une action simple ou multiple prendre son poids et sa mesure » comme le dit Cunningham dans le film.
Cunningham », de Alla Kovgan, 2019 Allemagne, France, USA, Suisse. 92’. VOST Anglais – A voir en VOD depuis le site du cinéma d’Oron ( http ://www.cinemadoron.ch ), 10 francs Payable en ligne par carte de crédit ou PayPal