Coupe du Monde 2022
Surprises, (folie des) grandeurs et décadences

Non! A l’heure de l’urgence climatique et énergétique, on ne va pas refaire le débat afin de savoir si la Coupe du monde 2022 aurait dû avoir lieu au Qatar. La Coupe du monde a vécu. Elle fut de celles que l’on aime particulièrement. Pleine de surprises et de suspense. Bien sûr si, à l’entame de cette compétition, il était déjà écrit que l’équipe du Qatar ne serait pas championne du monde, une fois la compétition lancée, bien malin eut été celui qui aurait pu prédire quelles équipes seraient dans le dernier carré, tant les grands favoris ont été malmenés, d’entrée de jeu, par des petits.
Il y a d’abord eu l’Arabie Saoudite qui a su prendre la mesure de l’Argentine de Lionel Messi (2-1). Cela s’est poursuivi par le Maroc qui s’est payé une Belgique vieillissante (2-0) et à mille lieux des Diables rouges des dernières années. Des Marocains qui ont écrit la plus belle page de l’histoire du football africain. Et que dire de la Tunisie qui s’est offert le luxe de s’imposer contre les Bleus (1-0). Tout cela rien que pour les deux premières journées de la compétition. Et que dire du Japon (vainqueur contre la Mannschaft et l’Espagne) ou de la Corée du Sud (qui a pris la mesure du Portugal) qui ont réussi à se hisser en huitième de finale ? Ces surprises ont prouvé une chose. Seules les meilleures équipes, du moins du moment, parviennent à décrocher leur billet pour une Coupe du monde, n’en déplaise à nos voisins italiens. Et si les petits font maintenant partie des élus, ce n’est pas dû à une ou deux stars nationales, mais bien au fait que les Davids ont su revoir leurs structures footballistiques en s’inspirant et en adaptant ce qui se fait chez les Goliaths.
La Coupe du monde la plus chère de l’histoire
Surprise aussi, mais finalement pas tant que cela, au niveau des spectateurs. Alors que certains prédisaient un fiasco cuisant pour les organisateurs qataris avec des stades vides ou à moitié pleins, force fut de constater que la passion des aficionados a été bien plus forte que le débat pré-Coupe du monde. Même sans bière dans les stades, la fête du ballon rond était au rendez-vous. Différente, mais bien là.
Malgré le fait que la fête du football fut belle, elle laisse néanmoins un certain goût de folie des grandeurs. Surtout par son coût. Selon une estimation de Front Office Sport, le Qatar a dépensé plus de 220 milliards de dollars (plus de 205 milliards de francs suisses) pour organiser sa Coupe du monde. Jamais une grande messe du football n’aura coûté aussi cher. On ne reviendra pas sur les histoires de pots-de-vin qui auraient permis aux Qataris d’obtenir l’organisation de la Coupe, mais sur cette désagréable impression que le fric peut tout acheter au détriment des valeurs fondamentales du sport, qui veulent que les résultats soient obtenus à force de travail et à la sueur du front. Sans être le pays hôte, l’équipe nationale du Qatar aurait-elle eu la moindre chance de participer, un jour, à une Coupe du monde ?
Le timing aussi dérange quelque peu. Alors que cet événement rime souvent avec des soirées terrasses-apéros-grillades, afin que les organismes des joueurs ne souffrent pas trop, la grand-messe du football s’est donc déroulée en novembre-décembre. Même si les expériences raclettes ou fondues – foot ne furent pas des plus déplaisantes et que la Coupe est un magnifique cadeau de Noël pour l’Argentine, pour rendre cela possible, il a fallu, pour la première fois de l’histoire du football, interrompre les différents championnats et se priver d’une multitude de joueurs blessés récemment dans l’exercice de leurs fonctions avec leurs clubs respectifs. Ce n’est pas le sélectionneur Didier Deschamps qui dira le contraire. Cela ramène une nouvelle fois à la désagréable impression qu’avec le fric, les organisateurs ont su imposer au monde du ballon rond, quelque chose qui n’aurait peut-être jamais dû avoir lieu. Du moins pas là, au milieu du désert et pas à cette période.
La fin d’un cycle
Cette Coupe du monde particulière marque aussi la fin d’un cycle, puisqu’on ne reverra probablement plus un grand nombre des stars actuelles du ballon rond.
A commencer par Cristiano Ronaldo qui aura 41 ans lors de la prochaine grand-messe mondiale du football organisée conjointement par les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Il semble également peu probable que l’on y voit des Lionel Messi, Karim Benzema, Olivier Giroud. Du côté suisse, Yann Sommer sera-t-il encore du voyage ?
Qatar 2022 marque donc la décadence d’une génération exceptionnelle. Il y en a eu d’autres avant, il y en aura d’autres après. Achèvement de décadence, peut-être, pour le football tel qu’on l’a connu jusqu’à présent et aussi pour le sport en général. Certes, les montants articulés autour du football, par exemple pour les salaires des méga-stars ou les prix des transferts ont tout d’indécent. Certes, la FIFA avait voté en faveur du Qatar. Au risque de se répéter, même si d’un côté, la Coupe du monde a dépassé ses promesses, elle a surtout été celle de la démesure et de la déraison. On ne peut s’empêcher de commencer à se demander jusqu’où cette dénaturalisation du sport ira. Une chose est certaine, la prochaine étape sera les Jeux asiatiques d’hiver 2029 qui auront lieu en plein désert…