Commerces – D’où viennent nos fleurs coupées ?
La question de l’origine des fruits et légumes occupe l’espace public depuis de nombreuses années. Pour les tulipes, roses et autres fleurs qui ornent nos tables et nos bureaux, la problématique est d’autant plus épineuse.

C’est indéniable, le printemps arrive. Les températures s’adoucissent, les oiseaux commencent à chanter, et dans les étals, les fleurs coupées se multiplient. Dans les grandes surfaces, les tulipes s’achètent déjà depuis presque un mois, alors que la saison officielle ne commencera qu’en mars.
C’est parce que 98 % des fleurs coupées vendues en grande surface sont importées. Elles viennent principalement de Hollande, championne internationale de la fleur coupée qui, à elle seule, représente 60 % du commerce mondial. Sauf que voilà, non seulement il faut les transporter depuis la Hollande, mais elles sont souvent cultivées sous serres, ce qui consomme beaucoup d’énergie. Pire : la traçabilité des produits n’est pas soumise à des règles strictes. Résultat : beaucoup sont estampillées « Hollande » alors qu’elles viennent… du Kenya.
Difficile concurrence
S’il est difficile de rivaliser avec ce géant du nord, certains fleuristes suisses essaient de faire leur part pour rendre le marché plus éthique. C’est le cas notamment de Kissling Fleurs à Oron, et ce, même si la différence de prix est conséquente. « On doit faire des choix, explique Nicolas Kissling. Les fleurs comme les tulipes, on en prend que quand c’est la saison. Pour les autres, on essaie de trouver les circuits les plus courts possibles. » Acheter hors saison implique, au même titre que les fruits et légumes, de devoir faire le choix d’un produit local cultivé sous serre, ou un produit importé. « Tant qu’on aura pas appris à la clientèle qu’on ne peut pas avoir de fraises en hiver et que c’est la même chose pour les fleurs, on sera confronté à ce dilemme. » Car la demande du consommateur est là, et Nicolas Kissling doit encore faire le choix d’offrir des fleurs dont l’impact ne le satisfait pas. « Pour être crédible en tant que magasin de fleurs qui a un bel étalage, on doit avoir une rose rouge, une rose blanche. Et en hiver, elle vient soit disant de Hollande, mais on ne sait pas d’où la Hollande l’a importée. »

Un virage également emprunté par Crousaz Fleurs à Yvorne, un des derniers producteurs de fleurs de la région. Il y a deux ans, l’entreprise comptait une cinquantaine d’employés. Aujourd’hui, ils sont 13. La décision de réduire la voilure, Jean-Marc Crousaz l’a prise en partie pour sa santé, car la profession engendre de plus en plus de stress. Mais pas seulement. « On était le plus grand producteur de roses en Suisse jusqu’à y a trois ans. Le problème des roses, c’est qu’elles sont très sensibles à certains ravageurs et maladies, comme le thrips, par exemple. La Suisse a interdit beaucoup de produits, dont ceux qui nous permettaient de lutter contre ce thrips. Alors on a essayé de fonctionner avec un autre produit. Il y en avait un en particulier qui fonctionnait bien, mais le pays n’a pas voulu l’homologuer parce qu’il ne venait pas de Suisse. » Pour Jean-Marc Crousaz, il faudrait rééquilibrer les exigences entre ce que l’on produit et ce que l’on importe. Depuis trois ans, les 30 hectares d’Yvorne ne sont habités que par des produits qui consomment moins d’énergie. « On va vraiment travailler encore davantage en fonction des saisons. En hiver, il faut continuer à produire pour donner du travail aux employés, mais on choisit des produits qui nécessitent peu d’énergie. »
Vers des fleurs plus écolos
S’ils n’ont pas de solution toute faite, nos deux passionnés de fleurs ont cependant une lueur d’espoir dans la voix. « Le client commence à être plus regardant sur la provenance de ce qu’il achète », explique Nicolas Kissling. Pour lui, il faut surtout davantage de traçabilité. A son échelle, il tente déjà de mettre en place, au sein de son magasin, des actions plus durables, par exemple par l’emballage des fleurs, dorénavant uniquement en papier. Jean-Marc Crousaz abonde dans le même sens : « Il va falloir revoir la production. Mais le commerce de fleurs ne va pas s’arrêter. D’ailleurs j’ai toujours dit que ce qu’on dépensait en fleurs, on ne le dépensait pas en séances de psy. »
