Comme un air de déjà vu
Petit bonhomme devant le grand homme aux médailles
Gil. Colliard | Depuis quelques parutions, nous prenons contact avec nos aînés en leur demandant de nous relater leurs souvenirs en rapport avec la mobilisation 1939 - 1945. Pour la plupart, dans un premier temps, ils font preuve d’une réelle modestie, pensant que ce qu’ils ont vécu n’a que peu d’importance et ne mérite pas de figurer dans notre journal. Mais lorsqu’avec quelques questions, on titille leur mémoire, ils vous peignent fidèlement le tableau de leurs jeunes années, ce qui fut le cas, cette semaine de Denise et Marcel Noverraz, de Forel ( Lavaux ).
Des années de labeur dès le plus jeune âge
C’est Denise qui, répondant au téléphone, a accepté la première de nous conter ses souvenirs d’alors. Née en 1931 dans la famille Desarzens à Forel, elle a vécu la mobilisation à la campagne dans la ferme familiale. « Papa était mobilisé, par séries d’un mois. Avec ma sœur aînée on aidait notre maman qui faisait tout. Mes deux frères étaient petits. Elle faisait les labours avec les vaches. Nous allions à l’école à pied. En ce temps-là, il y avait beaucoup de neige en hiver. On s’approvisionnait, pour ce qui nous manquait, au magasin du Pigeon avec les coupons. C’était dur, heureusement que nous avions le plantage. Le soir maman tirait des rideaux foncés sur les fenêtres pour cacher la lumière à cause des avions. Nous n’avions pas d’aide, car chacun avait assez à faire chez soi » se remémore-t-elle. Marcel s’est aussi rappelé de faits particuliers de cette sombre époque. « Nous avions une petite campagne de trois poses, papa travaillait également comme agent de police et huissier municipal, à Forel. Il a été aussi mobilisé par intermittence. La commune a accueilli des réfugiés de l’armée polonaise, placés par la Confédération, entre 1942 et 1943. Elle avait mis à leur disposition des locaux où ils dormaient. Papa s’en occupait. L’hiver, ils aidaient à peller la neige et faisaient divers petits travaux. C’est au cours de ces années, qu’un cours de répétition d’environ 80 cyclistes genevois est venu faire la cuisine chez nous à la ferme. Ils mangeaient dans le pré. Nous mangions avec eux. Un moment pendant lequel, nous étions comme des coqs en pâte! On avait alors des cochons qui profitaient des déchets de cette cuisine » souligne l’homme qui a sillonné son village pendant de nombreuses années, dans son rôle de facteur. De l’armistice, ni l’un, ni l’autre n’a de souvenir particulier, car la vie à la campagne a continué. Le labeur a suivi le rythme des saisons. « Nous avions appris la fin de la guerre à la radio. Un défilé a été organisé à Lausanne en son honneur. Seul un de mes frères y est allé » souligne Marcel ajoutant: « mon souvenir le plus frappant s’est déroulé en 1938, avant la guerre, alors que je n’avais que 10 ans. Des grandes manœuvres militaires avaient lieu sur notre terrain. Sortant de l’école, je me suis retrouvé, impressionné, à un mètre d’un officier étranger, à la veste remplie de médailles. C’était le maréchal Pétain, le chef militaire des Français qui avait été invité par celui qui était alors le colonel commandant de corps Guisan ».
Coronavirus, un air de grippe espagnole
La paix retrouvée, Marcel a repris le domaine familial, où il vit toujours avec Denise son épouse depuis 1952 qui lui a donné deux garçons et une fille, qui à leur tour les ont faits cinq fois grands-parents et six fois arrière-grands-parents. Il a dévoué sa vie à sa famille, à son métier de facteur pendant 33 ans et à sa passion pour la gymnastique. Il fut retraité prématurément en 1982 à la suite d’une hémorragie cérébrale. Quant à Denise, elle a assumé tout le travail de mère au foyer et a prêté main forte à celui de la ferme, avec le bétail, le plantage et le jardin. Que pensent-ils de ce que nous vivons actuellement? « C’est une drôle d’histoire. On n’est pas près de s’en sortir, il faudra trouver un vaccin! Cela me fait penser à la grippe espagnole de 1918. On en a souvent parlé. Je me souviens d’une connaissance qui s’était installée à Savigny, où elle avait hérité une maison. Toute sa famille avait été touchée par cette maladie » répond le nonagénaire à qui je demande encore s’ils souffrent de solitude en ces temps de confinement ? « La belle-fille de notre dernier garçon nous fait les courses. Les relations ne nous manquent pas autrement. Nous n’allons plus au bal. Autrefois, nous avons assez rôdé de gauche et de droite et partis travailler sans dormir » conclut-il avec humour.