Cinéma – Sparta, d’Ulrich Seidl
Après son film Rimini sorti l’année passée, Ulrich Seidl poursuit son exploration en diptyque d’une fratrie que le passé, toujours suggéré, n’a de cesse de rattraper.

Les lendemains de l’enfance
Rimini parlait de la vie de Richie Bravo, Sparta de celle de son frère. Liés par le sang d’un père aliéné par l’alzheimer, ils le sont aussi, par un savant jeu de parallèle, par leurs rapports à leur souvenirs respectifs. En effet, si leur père a tout oublié, eux tentent de faire de même mais n’ont de cesse de se faire rattraper par leurs passés. Alors que celui de Richie était incarné par sa fille, qui l’espionnait puis le menaçait et lui reprochait ses absences, celui d’Ewald semble remonter à la surface dès qu’un enfant apparaît dans le champ. Tous deux ont ainsi fui leur pays natal, l’Autriche, où croupit leur père en EMS (un dernier rôle très bien endossé par Hans-Michael Rehberg, décédé entre temps). Richie vivote à Rimini, alors qu’Ewald s’est installé en Roumanie avec une femme qu’il aime de moins en moins. Il la quitte dès lors sur un mensonge, et chemin faisant s’installe dans un village roumain défavorisé pour donner des cours de judo à des enfants, dans une école abandonnée qu’il rénove avec eux.
Educations et masculinités
Si le but d’Urlich Seidl, ainsi qu’il le dit en interview, était de faire de son personnage de pédophile « une figure sympathique pour le public, quelqu’un dont on peut comprendre la souffrance intérieure même si on ne le veut pas », le pari est loupé – et il semble qu’il l’était d’avance tant la gravité du sujet empêche l’empathie. Le film est en effet insoutenable et horrifiant de malaise, au point de soulever des questions éthiques, comme bon nombre des films de Seidl. Ce dernier illustre ici de façon presque archétypale le mythe de l’ogre enfermant des petits garçons dans sa forteresse. Néanmoins, sa situation géographique dans la campagne roumaine comporte un intérêt presque documentaire – un genre dans lequel Ulrich Seidl a par ailleurs fait ses armes. C’est ainsi la force de Sparta comme celle de Rimini d’aller sonder des lieux singuliers et peu glamours, en les rendant photogéniques sans forcer l’esthétisme. Le film met en effet en scène des acteurs et actrices non professionnel·le·s casté·e·s sur le lieu de tournage. Les pères des enfants potentiellement victimes d’Ewald incarnent ainsi une parentalité violente et masculiniste, en particulier celui d’Octavian, le favori du protagoniste. La mère absente et crédule cède ainsi son rôle à son mari violent, qui veut éduquer son fils à la dure, et faire de lui « un homme, un vrai ». Rendant dès lors possible l’attachement dangereux du petit pour son potentiel bourreau, ce personnage relaie l’histoire de fond du diptyque que conclut Sparta.
« SPARTA » Fiction, Ulrich Seidl, Autriche, 2022, 101’, VOSTFR, 16/16 ans
À voir au cinéma d’Oron dès le 6 septembre