Cinéma – Roter Himmel de Christian Petzold
Ayant reçu l’Ours d’argent à la Berlinale cette année, le nouveau film du réalisateur allemand explore la dynamique d’un quatuor en vacances au bord de la mer Baltique.

Les indices d’une existence
Il aime le mythe, sans doute, ce réalisateur qui présentait il y a trois ans « Undine » à la Berlinale, un long-métrage dans lequel il adaptait le conte romantique du XIXe siècle au Berlin d’aujourd’hui. Se tournant cette fois-ci vers le genre mythique du film d’été, Christian Petzold tente de l’amener sur les côtes allemandes de la Mer Baltique. Il y projette ainsi l’histoire de deux amis d’enfance séjournant dans une maison au milieu des bois, forcés de cohabiter avec une connaissance de la famille inconnue au bataillon jusqu’alors. Paula Beer, l’Ondine d’il y a peu, incarne dès lors ce nouveau personnage presque aussi mystérieux que le précédent. D’abord hors-champ, entendue seulement la nuit dans ses ébats, elle est immédiatement synonyme de « plot twist » pour le film, tandis que Léon s’amourache des indices de son existence jusqu’à l’obsession. A l’image, elle apparait ainsi d’abord en tout petit, scrutée de loin par cet écrivain qui se croit obligé de se cantonner à une posture d’observateur plutôt que d’entrer dans la vie et en interaction. Le groupe formé par le duo, rejoint de Nadia et de son ami, représente ainsi rapidement le monde duquel le protagoniste se tient éloigné, n’osant prendre part ou effectuant des tentatives maladroites d’en être. Léon semble en effet sans cesse émettre une force contraire aux envies du groupe, imposer son individualité plutôt que de se mêler.
La temporalité distendue des vacances
L’histoire de « Roter Himmel » est ainsi celle de ce personnage coincé dans sa tête, que relaie la très belle chanson de Wallners « in my mind », présente au début et à la fin du film. L’empêtrement du personnage est ainsi explicité par des dialogues qui se ressemblent. Il est ainsi par exemple toujours seize heures quand quelqu’un demande l’heure, si bien que le temps semble s’étirer, comme pour représenter l’étrange temporalité des vacances. Jours après jours, on propose par ailleurs à Léon les mêmes baignades qu’il décline, préférant faire semblant de travailler. Dans son grand sac à dos rectangulaire, il cache en effet un manuscrit sur lequel il peine à avancer. Ce travail de longue haleine semble ainsi être à la fois une difficulté de plus dans son quotidien, tout en étant ce qui le protège du groupe. A cet égard, il semble à l’image se cacher derrière le grand sac à dos, comme s’il s’agissait d’une bouée de secours. Le temps de « Roter Himmel » s’étire ainsi jusqu’à ce qu’il s’arrête, lorsque l’irréversible survient. Un renversement s’opère alors : jusqu’ici proche de Léon et en empathie avec lui, le film vient souligner son égocentricité par une ligne de dialogue acérée. Ce chamboulement final vient ainsi contrer une lenteur sinon omniprésente que l’on est amené à regretter.
Le Ciel Rouge (Roter Himmel) de Christian Petzold
Fiction, Allemagne, 2023, 1h43, VO s-t. fr., 12/12
A voir au cinéma City-Club de Pully