Cinéma – « Ripples of Life »
ou comment passer du drame à la satire en trois étapes
A l’affiche du cinématographe jusqu’au 10 août, le dernier film du réalisateur Wei Shujun passe du drame à la satire en trois étapes. Présenté à la Quinzaine de réalisateurs en 2021, « Ripples of Life » est un triptyque original sur la
stagnation de quatre individus issus de milieux différents.
« Ripples of Life », ondulations ou frissons de vie en français, est composé de trois parties. Chacune d’entre elles se concentre sur des entités gravitant autour d’un tournage prenant place dans une petite ville chinoise. Il y a d’abord la patronne d’un restaurant, sans cesse rabaissée par son mari et sa belle-famille. Alors que l’équipe de tournage débarque pour faire des repérages dans les environs, elle se met à rêver au-delà de sa maternité et de ses obligations en se frayant un passage dans l’équipe du film. Alors que les préparatifs avancent, Gu cesse d’être la protagoniste du film dans le film en même temps que dans l’œuvre de Shujun. La deuxième partie de « Ripples of Life » s’attelle ainsi à raconter l’arrivée de Chen Chen. La star nationale revient dans sa région natale pour incarner le premier rôle du film qui s’organise. Alors qu’elle croise des femmes de son âge qui ont la vie qu’elle a fui, on lit tout l’aspect déceptif de sa situation. Ainsi, le film dresse jusque-là le portrait de deux femmes déçues par leurs vies, que personne ne semble voir dans leur souffrance. Finalement, le long-métrage se focalise sur le duo incarné par le réalisateur et son scénariste, qui peinent à se mettre d’accord sur la visée de ce qu’ils orchestrent. L’un veut transmettre un message par son scénario, alors que l’autre veut laisser le réel pénétrer son œuvre.
Le maître mot du scénario du film dans « Ripples of Life » est que l’inertie guette tout un chacun. Or, les personnages de Shujun stagnent face à leurs déceptions. Chacun.e est cantonné.e à son statut plus ou moins aisé mais toujours décevant. Néanmoins, la forme du film s’adapte si bien à ses personnages, qu’on peut avoir le sentiment qu’il y a réellement quatre films dans le film plutôt qu’un seul. Pour parler de la patronne du restaurant, les plans sont très larges et lents, alors que la fin du film s’apparente à une parodie de clip de rap, au sein duquel les personnages sont tournés en dérision. L’empathie que déploie le réalisateur pour Gu, la jeune mère locale, n’est pas déployée pour le personnage qui se rapproche de qui il est lui. Cette non-complaisance sert ainsi un film qui se veut satire d’une posture d’auteur. Néanmoins, les personnages abandonnés d’un chapitre à l’autre viennent à manquer dans un récit qui, parce que triparti, n’amène pas ses personnages jusqu’au bout de leur course. La frustration des protagonistes face à leur destin stagnant est à l’image de celle que procure la forme narrative de « Ripples of Life », qui avorte les histoires les unes après les autres. Cependant, Shujun parvient très bien à mettre en image ce que ses personnages vivent. Gu, la patronne du restaurant, danse devant son miroir. De la fumée au premier plan aide à mettre en scène la mère frustrée en star, jusqu’à ce que l’on découvre qu’il s’agit de la fumée du chauffe-biberon. Lors d’un triste trajet de retour, Chen Chen dessine sur la vitre de son taxi un œil que l’humidité ambiante rend larmoyant. Ces images fortes contextualisent les ondulations émotionnelles des personnages de « Ripples of Life ».
« Ripples of Life », (Wei Shujun, 2021)
A voir au Cinématographe (Casino de Montbenon, Lausanne ), jusqu’au 10 août