Cinéma – (Re)voir « Home », en attendant la suite

Charlyne Genoud | Sur le site du cinéma d’Oron, un film de 2008 à louer en VOD : Home, premier long-métrage de fiction d’une trilogie qu’achève en ce moment la réalisatrice Ursula Meier avec la réalisation de La ligne, tourné au Bouveret. En attendant la sortie de ce petit dernier, (re)découvrons la perle qui l’a faite connaître.
Bordiers autorisés
A l’intersection du Septième continent (Haneke, 1989) et du Milieu de l’horizon (Lehericey, 2019), il semble y avoir Home (Meier, 2008), tant par sa date que par sa thématique. Mais les intersections n’existent pas dans le décor de Home, car la caméra d’Ursula Meier est allée se poser au bord d’une autoroute désaffectée, une droite infinie qui s’étend à perte de vue. Perdue dans ce nulle-part, une maison abrite une famille de cinq, dont la proximité semble sans limite; pendant que l’aînée se lave clope au bec, le benjamin tsunamite le carrelage par ses gesticulations, le père sifflote et la mère écoute la radio. Chacun apporte sa note à cette joyeuse symphonie familiale. Un bonheur sonore au bord de l’asphalte, une route qui est devenue le terrain de jeu du benjamin Julien (Kacey Mottet Klein), une zone de bronzette pour l’aînée rebelle, et une terrasse pour le couple; l’autoroute c’est chez eux.
Perte de quiétude, prise de vitesse
Seulement ce bonheur bruyant est interrompu par un malheur tout aussi tonitruant: la réaffectation du segment d’autoroute. « C’est ce soir » répètent-ils tous. Une première voiture attendue avec hargne, qui ouvre le bal infernal. On dit souvent que c’est la cadette qui trinque, cela n’a jamais été aussi vrai que dans Home. Pas pour ce qu’elle boit, mais plutôt pour ce qu’elle ne boit pas ! Car lorsque leur environnement est ébranlé, la jeune Marion se met à tout calculer, et en particulier la pollution potentielle de ce qu’elle ingère. Une ostensible angoisse contrairement à celle que camouflent les autres membres de sa famille. Goût amer de la perte de quiétude, les névroses familiales enflent : l’ado qui se foutait de tout, s’en fout encore plus et bronze, du hard métal à fond dans les tympans, le père (Olivier Gourmet) pousse la dictature patriarcale à son paroxysme, la mère (Isabelle Huppert) semble se démanteler un peu plus avec chaque passage de voiture, et finalement, le petit Julien (premier rôle de Kacey Mottet Klein, vu récemment dans Just Kids) semble toujours plus petit, toujours plus fragile dans cet étrange système familial dont l’harmonie joyeuse du début a disparu. Asphyxiés au CO2, l’air vient progressivement à leur manquer.
Habiter ?
Que signifie habiter ? A quoi servent nos refuges ? Les murs qui nous abritent nous protègent du vent. Mais ce que semble amener en filigrane Home, c’est que nos habitations nous épargnent des regards. Comment habiter observé ? Il semble que la première vertu d’un logement soit de pouvoir être soi jusqu’au bout : manger mal, traîner habillé n’importe comment, hurler sur une musique adorée et savourer le silence. Tant de privilèges arrachés brusquement à cette tribu. Est-ce encore un refuge quand les regards nous toisent à longueur de journée au rythme des voitures qui filent sur la B57 ? Le temps précieux de l’intimité est subitement orchestré par les bolides. Une vie au rythme des fréquentations de la route. Une cadence effrénée qui surgit par la fenêtre de la cuisine par un surcadrage. Il y a alors un jeu sur les regards dans Home : celui de la famille qui voit les voitures filer comme un film inarrêtable, et celui des passagers intrusifs. Parce que la journée est désormais rythmée par le bruit, le soleil ne règle plus l’horaire, et c’est l’insomnie générale. La membrane qui les séparait du monde est déchirée, les bagnoles passent sur leur refuge comme des bulldozers chargés de détruire leur idylle.
Home de Ursula Meier, 2008 – Suisse, France, Belgique. 98’ – A voir en VOD depuis le site du cinéma d’Oron pour soutenir nos salles locales en perte de vitesse.
Dans la lignée
C.G. |7Home fut le premier d’une longue lignée de succès pour Ursula Meier : nominé dans trois catégories aux Césars, nominé aux Oscars, prix du cinéma suisse, Semaine de la Critique ; Home a tant voyagé que plu. Et la famille s’élargit puisque Meier tourne actuellement La ligne au Bouveret, qui viendra clore l’année prochaine la trilogie entamée par Home.
