Cinéma – Reine mère, de Manèle Labidi
La couronne à l’envers

Dans les environs de Paris au début des années 90, une famille nucléaire tuniso-algérienne reçoit une lettre d’expulsion. Mais cette menace n’est rien en comparaison avec le racisme ordinaire qui façonne leur quotidien.
Des francs à la gueule
Tu sais qui je suis ? » est de loin la phrase la plus répétée dans « Reine mère », qui portraiture Amel (Camélia Jordana), une mère de famille tunisienne qui vaut mieux que les travaux ou que les appartements subventionnés qu’on lui propose, au grand dam de son mari Amor (Sofiane Zermani). Faut-il en vouloir à ce personnage aimant et attentionné envers ses deux filles, d’être en dehors de cela plutôt insupportable ? Amel est une figure passionnante, qui refuse de se conformer à l’image de l’immigrée que ses contemporains tentent de lui attribuer. Devenue femme de ménage, elle refuse de quitter son tailleur pour endosser la blouse. Face à l’employé chargé d’assigner des logements subventionnés, elle se lève, révoltée par l’emplacement du trois pièces qui lui est assigné, pour lui jeter des pièces à la gueule. On ne peut qu’admirer cette représentation forte et singulière d’une femme qui souffre de son déracinement, bien loin du drame social auquel un sujet de la sorte mène fréquemment. Néanmoins, le personnage reste plutôt antipathique, si bien que l’on attend patiemment le moment où on pourra s’approcher d’elle pour mieux la comprendre. Ce moment arrivera plus ou moins lorsque Amel apprend que sa fille est moquée dans son école. Cette scène révèle une autre facette d’Amel : plus douce, son visage apparaît enfin un peu changé. Néanmoins, ces scènes ne suffisent pas à entrer en empathie avec un personnage assez monolithique, dont on ne connaît finalement que par bribe – sans doute le prix de cette représentation inédite. Heureusement, « Reine mère » a une deuxième protagoniste : Mouna (Rim Monfort), l’aînée de la famille, qui peine à grandir dans un système éducatif français dont le programme est pétri de racisme.
La fille raconte la mère
Comme Amel, la réalisatrice ose alors casser les codes en introduisant un personnage fantastique : celui de Charles Martel, qui « écrasa violemment les arabes tel un marteau en 732 ». Incarné par Damien Bonnard, la figure historique accompagne Mouna, seule à le voir, dans ce qu’on découvre petit à petit comme une tentative de survie dans un cadre scolaire qui la traumatise. Obsédée par cette figure de l’histoire instrumentalisée par les politiques de droite pour propagander contre la migration, la jeune Mouna se met à cheminer avec son nouvel ami imaginaire. En creux de l’itinéraire familial rendu incertain par la menace d’expulsion, celui de la petite fille révèle petit à petit ce que vivent ses parents, à savoir un racisme ordinaire omniprésent. Charles Martel soutient la petite fille dans sa quête identitaire, rendant possible une forme de réparation.
Le harcèlement scolaire laissé hors-champ est ainsi superbement révélé par la vie imaginaire d’une enfant.
« Reine mère » fiction de Manele Labidi, France
2024, 100’, VF, 16/16 ans, à voir au cinéma d’Oron
Le prix du cinéma suisse au bâtiment des forces motrices à Genève
C.G. | Chaque année, le cinéma suisse se célèbre lors de la remise des quartz par l’académie du cinéma suisse. La cérémonie qui prend place une année sur deux à Zurich avait lieu vendredi passé à Genève. Au fil des prises de parole des récipiendaires de prix se dessinait un état des lieux de comment le cinéma est perçu par la branche. Alors que Mégane Brügger (prix du meilleur film de diplôme) soulignait qu’il s’agissait pour elle de créer un espace contre la violence, Klaudia Reynicke (prix du meilleur film de fiction) rappelait que le cinéma ne devrait jamais être perçu comme un luxe. La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider a ensuite fait un long discours au sein duquel elle ramenait un peu de l’état du monde, resté hors-champ de cette soirée, sur le devant de la scène. Le prix du cinéma suisse donne dès lors l’occasion de prendre le poul des points de vue sur le septième art en Helvétie, par ceux et celles qui le façonnent.