Cinéma – « Maria » de Jessica Palud
La sortie en 1972 du film « Le Dernier Tango à Paris » de Bernardo Bertolucci a signé l’avènement de l’actrice Maria Schneider, en même temps que sa déchéance. Violée lors d’une prise pour ce film par Marlon Brando, à l’initiative de Bertolucci « pour avoir sa réaction de jeune femme », l’actrice a été brisée par cet abus aussi atroce que publique. Le film « Maria » qui est actuellement en salle, tente de remettre les souffrances de l’actrice trop souvent passées sous silence au cœur de l’Histoire collective. Un projet saluable, qui touche évidemment, mais qui se cantonne à sa fonction pédagodique.
Visibiliser Maria
Que peut le cinéma face à des drames aussi tragiques que le viol de Maria Schneider sur un plateau de tournage, ou sur les abus répétés de Gabriel Matzneff sur Vanessa Springora (voir le film « Le consentement » de Vanessa Filho, 2023) ? Donner à voir des vécus traumatiques cautionnés à leur époque par le grand public permet évidemment de les visibiliser. Ces films contemporains aident des récits jusqu’alors passés sous silence à recevoir l’écho qu’ils auraient dû avoir plus tôt. Ils rappellent aussi au présent des luttes féministes le passé sur lequel il se fonde. Néanmoins, le cinéma ne peut se contenter uniquement de re-présenter ces violences. Un film qui s’empare d’un tel sujet se doit d’amener sa pierre à l’édifice de notre évolution collective par une représentation singulière, sans quoi il semble instrumentaliser son propos. Pour que l’appropriation que sous-tend un film soit justifiée, elle semble devoir apporter quelque chose qui n’existe pas déjà. Or « Maria » (Jessica Palud, 2024) tombe à bien des égards dans les écueils du cliché.
Après un bref plan d’exposition bien trouvé, qui laisse le temps d’une seconde espérer que le film s’entame alors que Maria (Anamaria Vartolomei) tourne déjà, le film fait état d’une jeune femme de seize ans qui se rêve comédienne. Abandonnée par un père acteur qui l’accueille depuis peu sur ses tournages, elle peine à cohabiter avec sa mère haineuse (Marie Gillain). Cette dernière sonne particulièrement faux, alors qu’elle enchaîne des dialogues plus banals les uns que les autres. L’incarnation de la mère contraste par ailleurs avec la finesse du jeu d’Anamaria Vartolomei (vue notamment dans L’événement, Audrey Diwan, 2021), tantôt fragile et tantôt décidée lorsqu’elle marche seule dans les rues de Paris. Ces premières scènes semblent avoir si peur de ne pas clarifier la situation initiale du film qu’elles irritent.
Une première ellipse, signifiée par un écran noir, nous téléporte ensuite trois ans plus tard, alors que Maria s’apprête à tourner « Le Dernier Tango à Paris ». Commence alors un questionnement sur les choix d’un scénario qui semble mal choisir ses moments. Assez communément, on assiste à la rencontre avec le réalisateur (qui a l’air fiable, tout comme Brando, ce qui donne de l’épaisseur au film), à la signature du contrat, à l’arrivée de Brando (Matt Dillon) entouré de paparazzi pour que finalement le tournage commence. Une brèche est ouverte lorsqu’une maquilleuse vient prendre soin de Maria. Un espoir : le récit va-t-il, avec un peu d’originalité, montrer les autres liens de Maria à l’équipe du film ? Ce fil ténu de la narration revient ensuite lors de la terrible scène de viol, par des plans de coupe sur les visages des membres de l’équipe du film. Brièvement montrés, les complices silencieux du drame sont au moins représentés. Malheureusement, ces plans brefs ne laissent pas par leur durée le temps de contemplation qui aurait fait de ce choix de découpage fort un moment important du film. On ne peut que regretter que le film ne s’attache pas plus à s’attarder sur ces détails qui n’en sont pas. A cet instant, le film trouve en effet son propos.
Une nouvelle ellipse nous fait alors atterrir au troisième acte : l’après du drame. Maria plonge dans l’héroïne, et le film s’attache alors à bien représenter chaque élément de la toxicomanie, par de nombreux plans déjà présents dans nos imaginaires collectifs. On regrettera ainsi que « Maria » montre tout de façon trop explicite et clichée. D’autant plus qu’à de rares moments, la réalisatrice fait des choix d’ellipse salvateurs, comme cet appel téléphonique émis depuis le centre de désintoxication où Maria s’adresse à sa mère absente, qui ne daigne pas lui répondre. Ce dialogue impossible, une conversation avec un répondeur, fait preuve de générosité pour son spectateur en narrant les électrochocs que Maria a subi, sans avoir besoin de les montrer.