Cinéma – Marcello mio de Christophe Honoré:
où est Chiara ?
Christophe Honoré met en scène son actrice préférée Chiara Mastroianni, épuisée et hantée par l’omniprésence du visage de son père dans le sien. Pour conjurer le sort, elle décide de s’habiller comme lui et d’intimer à son entourage de le nommer Marcello. Présenté en Sélection officielle du festival de Cannes en même temps que sa sortie en salle, Marcello mio n’en est pas reparti palmé, malgré qu’il ait beaucoup fait parler.
Christophe et les acteurs
Christophe Honoré aime les acteurs et les actrices, en particulier Chiara Mastroianni vers qui il n’a de cesse de revenir, année après année. Les chansons d’amour (2007), Non ma fille, tu n’iras pas danser (2009) ou encore Les bien-aimés (2011) : autant de marques de son attachement à elle. A l’automne dernier, le binôme et leur troupe étaient par ailleurs présents au théâtre de Vidy pour représenter la pièce Le ciel de Nantes, inspirée de la vie de famille du metteur en scène. Dans Marcello Mio, c’est au tour de Chiara et de sa famille de passer sous la plume de Christophe Honoré.
Malmenée dans les eaux parisiennes
Dans une fontaine parisienne, Chiara Mastroianni doit imiter Anita Ekberg de la Dolce vita sous l’impulsion d’une photographe dictatrice. Alors que cette dernière lui impose de crier à quel point Marcello lui manque, le visage de Chiara se crispe : la plaisanterie semble avoir assez duré. Malmenée dans les eaux de cette fontaine qui n’est même pas celle de Trevi, Chiara Mastroianni est profondément touchante dans cette séquence inaugurale. En contraste avec la douce musique de ce début de film, la violence de la scène amorce d’exprimer la douleur d’une fille de qui se cherche. Il y a quelque chose à faire de cette souffrance. Malheureusement, ce passage de Marcello mio apparait comme un des seuls instants où on a accès au personnage de Chiara, figée sinon dans une incarnation de son père plutôt stérile alors qu’elle se veut moteur d’une renaissance.
Joue-la comme Mastroianni
Si cette scène de fontaine aurait suffi à amorcer l’intrigue, Honoré en rajoute quatre couches : un rêve dans lequel Chiara voit son visage se transformer en celui de son père, une conversation avec sa mère (Catherine Deneuve) où elle explicite le poids des traits paternels sur ses épaules, une violente scène de casting où Nicole Garcia lui demande d’incarner un personnage « plus Mastroianni que Deneuve », et pour finir, une énième explication à son ami Benjamin Biolay. Au terme de cette longue explication en quatre séquences, la voilà qui se transforme en son père, habillée comme lui, parlant uniquement en italien et se présentant à toutes et tous sous le nom de Marcello. Sans que l’on comprenne mieux les ressorts de sa peine, ces scènes apparaissent comme répétitives et lourdes, au seul bénéfice de la création d’une cartographique de l’entourage de Chiara. Si la troupe qui l’accompagne est un pilier dans son voyage au cœur de son père, on regrette de ne pas mieux saisir où et qui est Chiara dans un film qui tente de la remettre au centre.
Envolées manquées
D’emblée, le programme s’annonce chargé. Marcello Mio est un film qui tente de faire beaucoup : questionner comment les acteurs.ices habitent le monde lorsqu’ils ou elles ne sont pas devant la caméra, illustrer le paradoxe de l’intimité d’une famille qui appartient aussi au domaine publique, évoquer les troubles identitaires d’une Nepo baby, parler de filiation, de renaissance et de deuil. « Au cinéma on joue des amoureux ou des fantômes » : à l’image de ce que dit Melvil Poupaud dans une belle séquence au décor mouvant, Honoré est très habité par la question de l’incarnation, au théâtre comme au cinéma, des fantômes du passé. Néanmoins, là où l’on se délectait devant Le ciel de Nantes d’un onirisme puissant, Marcello Mio jouxte parfois trop de séquences terre à terre à d’autres plus planantes, si bien que l’effet d’envol escompté ne prend que mal. Sans doute le résultat d’un film qui veut dire beaucoup mais qui approfondit parfois mal.
Retrouvée dans les eaux italiennes
Comme ce moment d’échange entre Melvil Poupaud et Chiara, qui propose aussi la belle idée que nous avons « une seule mort, mais le droit à trois vies », certains instants du film bénéficient d’une certaine puissance. Dans un taxi avec son nouveau meilleur ami Lucchini, Chiara en Marcello parle de sa fille : « La polpetta, c’est Chiara. Et elle aurait sans doute préféré qu’on soit, sa mère et moi, des mariés de la vraie vie, pas des mariés de cinéma ». Entre les moments de délire, l’émotion peut ainsi gagner le public de Marcello mio par des dialogues très bien écrits. La fin du film propose finalement un regard tendre sur Chiara, revenant à elle-même dans les eaux italiennes en compagnie de celles et ceux qu’elle a plus ou moins mené en bateau.
Marcello mio (Christophe Honoré, 2024)