Cinéma – Les itinéraires tangents
Hors-saison de Stéphane Brizé
En amour, il y a parfois des histoires que des chemins séparent. Stéphane Brizé explore l’instant où ces routes se recroisent. Mathieu et Alice, deux anciens amants, se retrouvent quinze ans après s’être séparés dans les remous d’une thalasso et d’une vie de famille qui bat de l’aile.
Larmes dorées
Charlyne Genoud | Quiberon, hors-saison ; stores et volets fermés enlèvent aux façades déjà pâles le moindre reflet de vitre qui pourrait les animer. Une musique au premier abord aussi lourde que mélancolique accompagne le visage dépité de Mathieu (Guillaume Canet), qui regarde les paysages défiler derrière la fenêtre de son taxi. Par cette musique et par ce choix de distribution, Hors-saison apparait d’abord comme tragi-comique : Mathieu est un acteur reconnu et très privilégié, qui chouine dans son petit monde feutré. Grand hôtel pour une thalasso sophistiquée, il enchaîne des soins absurdes. Au son, tout est mis en place pour pousser le rictus : le début du film amplifie le bruit du déambulateur de l’un des clients de l’établissement, le couinement des chaussures en plastique, et tous les sons aptes à rendre un peu plus risible le raffinement du lieu. Le moindre détail, comme la réceptionniste qui tape sur son clavier, semble avoir été pensé pour perfectionner une entrée en matière très bien rythmée.
Café débordé
Un poulpe étrange comme décoration de lit, une statue de pingouin qui lorgne la clientèle (tout en lui ressemblant), une petite sculpture de chat qui bat du bras : les éléments cocasses ne manquent pas. Pourtant, alors que l’on applique ce ton humoristique à un plan fixe de machine à café trop high-tech que Mathieu ne parvient plus à contrôler, la scène s’éternise jusqu’à briser le rire. Pour ce notable qu’un robot ridiculise, une pointe d’empathie suffit à relativiser l’hilarité, avant même que le protagoniste fonde en larme (toujours accompagné de sa grosse musique leitmotiv). Pour aller avec la solitude du personnage isolé dans sa cage dorée, les voix off des appels de ses proches contextualisent d’où il vient et ce qu’il fuit. Hors-saison prend ainsi son temps pour savourer tout le tragi-comique de sa situation initiale, avant d’y ajouter un élément : l’apparition d’Alice (Alba Rohrwacher), ancien amour de Mathieu qui est établi depuis quinze ans dans la région.
Pianiste invisible
Le film bascule soudainement dans l’observation de ce binôme que tout oppose. Des retrouvailles pudiques à coup de « tout va pas bien, mais tout va bien globalement » et de « mon mari t’aime pas comme acteur alors imagine s’il savait que c’était à cause de toi que j’avais été sous antidépresseurs ». Une très belle écriture visuelle de cette rencontre aussi, avec une contextualisation de qui est Alice par des plans d’elle au piano, puis de ce même piano qui continue de jouer bien que la musicienne ait disparu. Des aigus qui semblent ressurgir de ses souvenirs refoulés : alors que le portrait de Mathieu poussait le rire, Alice est dépeinte dans toute sa sensibilité. Cette femme aux visages multiples semble peu à sa place chez elle, notamment lorsque les sons d’une conversation disparaissent, remplacés dans sa tête par sa propre musique. En quelques plans et quelques silences est ainsi dépeinte l’histoire d’une femme qui peine à s’exprimer, et qui trouve par son piano ou par la bouche de son amie Gilberte le moyen de communiquer en différé. Si le film de Stéphane Brizé joue un peu les prolongations en fin de course, il n’en reste pas moins une superbe exploration d’un amour qui n’est plus de saison.
Hors-saison
Fiction, Stéphane Brizé, France, 2024, 115’, VF, 16/16 ans
A voir au cinéma d’Oron