Cinéma – Le vent qui siffle dans les grues
Un film de Jeanne Waltz, 2024
En Algarve, dans les années 90, le décès de sa grand-mère donne lieu à un parcours émancipateur pour Milène (Rita Cabaço), qui découvre entre-autre l’amour. Sur la toile de fond qu’est une région en transition, la réalisatrice tisse un parcours individuel se partageant entre deux camps, adapté d’un roman de Lídia Jorge.
D’un clan à l’autre
Crépuscule. Une vieille femme appuyée sur une canne s’avance dans les feuillages, et contemple une usine. Ce sont là les derniers instants de Regina Leandro (Ana Zanatti), admirant l’aboutissement de sa vie avant de rendre l’âme. A ce plan magistral succède la morgue, où sa petite fille déjà orpheline Milene, qu’elle a élevée, vient seule la reconnaître. Seule, parce que ses oncles et tantes sont restés bloqués aux quatre coins du monde cinq jours durant ; suffisamment de temps pour que Milene ait trouvé refuge auprès d’une autre famille. Les Mata, récemment arrivés du Cap-vert et habitant désormais les locaux de l’entreprise familiale, l’accueillent à bras ouverts. Construit en miroir inversé de sa famille à elle, ils prennent soin de la jeune fille neuro-atypique alors que les Leandro la maltraite pour la faire entrer dans le rang.
Les gentils et les horribles
Une fois ses oncles et tantes de retour de vacances, la jeune femme détonne au sein de cette famille de notables snobs, vicieux et vénaux (presque un peu trop). Ces couples se réunissent entre eux autour de grands repas pour réfléchir à comment continuer d’asseoir leur pouvoir dans une situation qui leur échappe : les Mata ont reçu l’entreprise familiale du fils aîné, le père de Milene. Rien ne s’arrange pour ces grands méchants lorsque cette dernière entame une relation amoureuse avec l’un des travailleurs de la fabrique. Les enfants de la défunte orchestrent alors leur plan violent de sabotage. Les personnages sont glaçants, tant dans leur jeu que dans la manière dont ils sont filmés. Sans cesse vus fixement dans des intérieurs bourgeois, tirés à quatre épingles et d’une froideur extrême, ils semblent presque trop portraiturés comme l’antithèse de Milene. Alors qu’elle rejoint le clan ennemi des ouvriers, les deux groupuscules ne semblent plus appartenir au même film tant leur représentation est rendue de manière opposée.
Amour complexe
Le vent qui souffle dans les grues veut, outre faire état de ces deux familles qui s’affrontent, faire le portrait d’un amour complexe : celui de Milene et d’Antonino Mata (Milton Lopes), un grutier veuf qui retrouve dans Milene l’âme de sa défunte. Cette histoire étant imbriquée dans celle de l’héritage, on ne sait pas où regarder lorsqu’elle s’entame. Parce que ses débuts sont un peu tordus – il lui fait une déclaration de non-amour et la fait tourner en bourrique – on peine dans un premier temps à croire à la sincérité du personnage. Quelle surprise ainsi de découvrir que le dénouement ne s’attarde que sur ce lien, comme si le contexte que le début présente comme la trame narrative principale du film était une manière d’étoffer cette histoire d’amour.
Représenter une région en transition
Le décès de la matriarche Leandro comme point de départ de la narration fonctionne néanmoins dans sa capacité à initier un remodelage total des liens au sein de ces deux familles et entre ces dernières. Il permet par ailleurs de représenter un monde en transition total, celui de l’Agarve dans les années 90, en plein boom immobilier. Alors que le paysage change, ses habitant.e.s renégocient leur ancrage dans cette région. Le vent qui siffle dans les grues a par ailleurs pour lui une image mémorable signée João Plácido.