Cinéma – Le moineau dans la cheminée
de Ramon Zürcher

Après « La jeune fille et l’araignée » en 2021, les frères Zürcher reviennent sur le grand écran (cette fois-ci en se départageant la réalisation et la production) pour un huis-clos familial plein de tension. Nominé à six reprises au prix du cinéma suisse, le long-métrage est actuellement à l’affiche du cinéma d’Oron et du City Club de Pully.
Une maison pleine
Karen vit avec deux de ses enfants et son mari Markus dans la maison où elle a grandi. Cette habitation pleine de souvenirs est le lieu des retrouvailles familiales à l’occasion de l’anniversaire de Markus. Débarquent ainsi au compte-goutte une étrange voisine, la sœur de Karen, son mari, leur fille, puis la troisième fille de Karen, Christina, qui a fui cet environnement que l’on perçoit bien vite comme toxique. Karen, personnage central de ce film, se rapproche du cliché de la mère dysfonctionnelle : elle ment, déchire les habits de sa fille, s’énerve pour un rien, se mutile devant ses enfants pour attirer leur attention. Incarnée par une géniale Maren Eggert au visage asymétrique et comme d’emblée double, elle garde souvent le silence et intrigue par sa manière dissociée de toiser le remue-ménage de la maison. Car si le film ne manque pas de la placer au centre, il cumule les sous-intrigues et les dynamiques entre les autres personnages, jusqu’à faire tourner la tête. Dans cette famille, personne ne va bien. La cause du mal-être ambiant est néanmoins toujours mise sur la mère dysfonctionnelle, et quand il ne s’agit pas de Karen, c’est sur sa mère décédée que repose la faute. Deuxième protagoniste latente de cette histoire, cette mère qui n’est plus, hante la maison qu’elle a léguée, avec toutes les traces de son emprise. À quelques reprises, Ramon Zürcher s’attelle ainsi à filmer les marques de vie passée en gros plan, à l’occasion de séquences permettant une sorte de point de situation dans la lourdeur ambiante. Il y a ainsi un mur sur lequel ont été inscrites la taille des enfants grandissant, une assiette en or ayant appartenu à la mère (qui crée une tempête dans le micro-onde), des photographies du passé et des portes auxquelles ont été enlevées les clés afin que personne dans la famille ne puisse s’isoler. Les restes de l’emprise passée sont ainsi dans les images, quand elles ne sont pas dans les bouches des filles traumatisées.
L’oreille d’un mur en hors-champ
L’énergie du lieu est ainsi saturée par les troubles internes : outre la mère étrange, il y a sa fille qui drague son oncle, son fils qui se fait martyriser par des garçons du village et qui reproduit la violence subie sur le chat, sa sœur qui ne cesse de reparler du suicide de son père dont personne n’était au courant et son mari qui a une histoire avec la voisine (une voisine que Karen n’hésite d’ailleurs pas à embrasser). Il n’y a ainsi que Christina, l’ainée des enfants qui a déjà pris son indépendance, qui semble garder la violence à distance. « Le moineau dans la cheminée » combine tout ce qui peut rendre un film oppressant : un lieu unique et une temporalité courte, à savoir deux jours. Cet espace-temps restreint est aussi peuplé que faire se peut. Le long-métrage va ainsi à mille à l’heure, tout en parvenant à vraiment filmer ses personnages et leurs interactions. Une dynamique de montage est par ailleurs répétée pour le plus grand bien du film : alors que deux personnages discutent, ils se mettent à regarder dans le hors-champ. Au lieu de rapidement nous montrer ce qu’ils regardent, comme on le ferait classiquement, le film nous fait attendre avant de révéler le contre-champ. Les murs ont ainsi sans cesse des oreilles et des yeux dans cette maison pleine à craquer, et le montage parvient à en souligner toute la tension.
De cette situation de fourmillement permanent, il semble que la seule résolution possible est une forme d’explosion, que le film amènera avec une pointe de fantastique surprenante. Par les pauses au sein des séquences, comme par des séquences plus oniriques, le film parvient ainsi à garder en haleine sans provoquer l’indigestion à laquelle son histoire pourrait donner lieu.
« Le moineau dans la cheminée » de Ramon Zürcher
Fiction, Suisse, 1h57, 2024
V.o. Allemand S-T FR., 12/12
À voir au city club ou au cinema d’oron