Cinéma – Le fond de la bouteille
Drunk, de Thomas Vinterberg
Charlyne Genoud | Associé aux souvenirs de jeunesse ou aux week-ends festifs, aux moments de décompression ou de folie passagère, l’alcool est une drogue aussi légale qu’adorée dans nos contrées. Le dernier film de Vinterberg met en scène la crise de la quarantaine autour de la boisson, sans formuler de discours manichéen.
A la recherche des verres perdus
Et si nos professeurs d’école, dans leurs traditionnelles tasses de thé, avaient versé un ou deux schlouks de Smirnoff ? Martin (Mads Mikkelsen) est un professeur d’Histoire, que l’on rencontre après des plans en travelling latéral de trois autres professeurs aux enseignements les plus mornes les uns des autres. Lors d’un dîner d’anniversaire avec son groupe de collègues, au sein duquel Martin est le seul à ne pas trinquer, un de ses amis explique la récente thèse d’un chercheur norvégien qui soutient que l’humain souffre en permanence d’un manque d’alcool dans son sang, et qu’il lui faudrait en fait maintenir son taux d’alcoolémie à 0.5 % au quotidien. Après leurs rires diffus, Martin se met à boire quelques verres et dévoile enfin son sourire, pour la première fois du film. Mais la fête ne s’arrête pas là ; le lendemain, il planque dans son sac une bouteille de vodka. Incapable de conduire, il confie à ses amis sa décision de mettre à l’essai la thèse norvégienne. Le quatuor décide ainsi de s’essayer ensemble à cette pratique en fixant des limites strictes, qu’ils ne tarderont pas à dépasser. Par la cohabitation d’une jeunesse qui a tant soif d’alcool que de vie, et de ces quarantenaires en perte de vitesse, Vinterberg semble ainsi réaliser un tableau intéressant sur les différents âges de la vie et sur le possible enlisement qui menace chacun de nous.
Revers de la bouteille
Alors que l’on peut s’attendre à un film moralisateur sur les dangers de l’alcool, Drunk s’en éloigne en en montrant d’abord les bienfaits. Ces hommes éteints reprennent en effet soudainement vie au contact du breuvage. La position du spectateur est dès lors dans un premier temps un peu complexe : va-t-on cautionner que l’alcoolisme rend heureux ? En sortant du cinéma, allons-nous nous mettre à biberonner de la smirnoff en permanence ? Jeu dangereux que celui de Vinterberg. Car bien que le réalisateur montre ensuite le revers de la médaille en révélant violemment ce que l’alcool peut nous enlever, le discours reste ambigu : après l’alcoolisme vient le beau temps, comme si le passage par l’addiction avait le pouvoir de nous rendre heureux. Difficile donc d’établir clairement le message véhiculé par le film, notamment aux abords de la scène finale, qui oscille entre replongeon et joie de vivre par une superbe chorégraphie de Mads Mikkelsen sur la chanson What a life de Scarlet Pleasure. Par ailleurs, la version française, chantée par Suzanne, précise « je m’accorde au présent, je fais ma life », comme pour moquer quiconque en quête d’un message clair sur l’alcool. Une expérience cinématographique enivrante .