Cinéma – L’amour ouf, de Gilles Lellouche
Le nouveau film de Gilles Lellouche est un étrange OVNI cinématographique racontant une histoire assez banale et clichée mais traitée comme une épopée.
80s au cœur du récit
L’amour ouf ne craint pas de voir grand. Le long-métrage de près de trois heures représente ainsi d’abord l’enfance de ses deux protagonistes, avant de les retrouver dix ans plus tard une fois devenus ados. Fraichement arrivée dans un nouveau collège, Jacquie (Mallory Wanecke) ose répondre au roi de la cour de récréation Clotaire (Malik Frikah), qui bien que déscolarisé s’adonne à des moqueries quotidiennes à la sortie du bus scolaire. Parce qu’ancré dans les années 80, leur romance s’entame sur le cadeau d’un vynil de The Cure, puis se confirme sur l’offrande d’une palette de petits flans que Jacquie adore. Dans la représentation de cette époque, on sent facilement la nostalgie d’un réalisateur qui se souvient de l’ambiance de son adolescence. Cette partie centrale du film finira mal : Clotaire, engagé par un groupe de voyous, est mis en prison par erreur pour purger une peine d’une dizaine d’années. S’entame alors la troisième partie de L’amour ouf : les compromises retrouvailles d’un couple que leur destin tragique a séparé.
En trois époques, et donc avec trois acteurs.ices différents.es pour les personnages principaux, Gilles Lellouche raconte ainsi l’histoire d’amour d’un bad boy et d’une fille studieuse, cadrée par son père. Le cliché est perpétré. Néanmoins, Jacquie ne manque pas d’être caractérisée dans sa complexité. Dix ans après la séparation, elle peine à faire face au souvenir de son amour disparu. Si l’histoire de L’amour ouf n’a ainsi rien de révolutionnaire, son traitement monumental est assez déroutant. Au sein de la première partie, la caméra ne semble avoir aucune limite : elle traverse les murs, passe dans un feu, le ton est donné. Des belles idées d’image s’enchaînent : un échange entre Clotaire et son père est filmé dans le reflet d’une flaque d’essence multicolore, des coups de feu hors-champ laissent entrevoir les personnages par les ombres portées qu’ils créent, le flou est fréquent, et les travellings s’enchaînent dans les rues de Lille pour relayer une appréhension de la ville à hauteur d’adolescents frappant le pavé. Clotaire, toujours en quête de bêtises à faire, vole un engin de peinture pour terrains de foot et redessine les limites du lieu avec ses amis. Cette belle idée – comme beaucoup d’autres dans L’amour ouf – est néanmoins montrée si vite que l’on peine à avoir le temps de l’intégrer, laissant l’impression d’un patchwork irraisonné. Le film pullule ainsi de superbes intuitions, malheureusement bombardées à toute allure. L’esthétisme du film le rend par ailleurs à des instants comme insituable : on se demande si on est à Lille ou dans les rues de New York, sous la lumière bleutée des gyrophares. Aussi, la volonté de tout montrer, notamment les trois âges des protagonistes en changeant deux fois d’acteurs.ices est difficile à avaler. L’amour ouf est ainsi un beau spectacle, plein d’effets et d’artifices, qui entraine la vie d’un duo amoureux du Nord de la France sur les bancs du cliché hollywoodien.
L’amour ouf de Gilles Lellouche
2024. 1h45