Cinéma – La richesse des marges au Cinématographe
Alors que bon nombre de salles indépendantes ont d’ores et déjà fermé leurs portes pour l’été – à l’instar du cinéma d’Oron ou du Cityclub de Pully -, le Cinématographe entamait le week-end dernier son riche programme estival par un partenariat avec le festival de la Cité. Depuis mars, cette salle nouvellement dirigée par Meli Boss, Faye Corthésy, Gysèle Giannuzzi et Alice Riva propose une programmation unique à Lausanne dans cette salle jusqu’alors occupée par la Cinémathèque suisse.
Des voix dans Lausanne
Dimanche soir avait lieu la dernière soirée du programme « Cinéma et contre-pouvoirs » organisée par le Cinématographe et l’association Territoires sensibles en marge du festival de la Cité. Jour après jour, les deux associations ont uni leur force – et surtout leur finesse – pour proposer une programmation singulière et très bien pensée dans des lieux peu courus de Lausanne. Si la semaine de projection s’est clôturée dans l’illustre salle du Casino de Montbenon, elle a avant cela entraîné ses spectateurs et spectatrices tour à tour dans la cour du collège St-Roch, sur un terrain de basket à Bellevaux ou encore dans la friche du Vallon pour visionner les divers films sélectionnés. Uniquement des courts ou des moyens métrages, comme pour pouvoir chaque soir faire résonner plusieurs voix à la suite dans les lieux choisis.
Matongé Kin
« Les statues meurent aussi » était le titre de la dernière soirée du programme. Alors que toute la semaine, la programmation s’est attelée à remettre en question ce qui est gravé dans le marbre, cette dernière soirée s’intéressait au passé colonial de la Belgique et de la Suisse. Un passé souvent encore très présent, à l’image des statues qui ornent nos places et nos rues. « Speech for a Melting Statue » (Collectif Faire-Part, 2023) lançait ainsi la projection en mettant en scène une lettre écrite par une poétesse pour le jour de déboulonnement de la statue de Léopold II. Sur des images de sculptures accrochées à des grues, la voix-over conte le lien entre deux quartiers nommés Matongé, celui de Bruxelles et celui de Kinshasa. Elle évoque la rareté du fait qu’un nom ait voyagé du Congo à l’Europe, un élément plutôt rare dans le contexte colonial. Réalisé par un collectif de quatre cinéastes travaillant à distance entre Bruxelles et Kinshasa, ce court-métrage de dix minutes illustre avec beaucoup de poésie les temporalités différentes de deux pays qu’une même histoire coloniale relie.
Dans ma valise
Toujours à Bruxelles, « Les Porteurs » de Sarah Vanagt s’empare du jeu « dans ma valise, il y a » pour représenter le geste qui consistait à ramener des objets des colonies. Des jeunes bruxellois contemporains tentent ainsi de lister de mémoire des éléments, qui se révèlent bien vite être tout ce que les colons ont ramené du Congo. En trente minutes, le film confronte ses nombreux protagonistes à des archives écrites ou visuelles.
Finalement, la soirée se conclut au Brésil, avec le film « Miasma Ficcão », de la plasticienne suisse Léa Katharina Meier. A Nova Friburgo, la réalisatrice saisit les restes ultra présents de la colonie suisse datant du XIXe siècle pour imaginer une fable ludique exprimant l’absurdité des lieux. Déguisée en gruyère, puis en Guillaume Tell, un Cervin en carton dans la poche, elle raconte le délire colonial et celui de la blanchité. Très bien pensé, le programme du cinématographe a fait ainsi s’enchaîner des films qui se répondent tout en évoquant chacun à sa manière un aspect singulier de ce qu’il reste du passé. On ne peut donc que se réjouir de découvrir le cycle estival « Les fantômes » dans cette même salle, qui commence cette semaine et compte de nombreuses pépites contemporaines ou plus anciennes.