Cinéma – Grand bourgeois hors la loi
« Tout s’est bien passé » de François Ozon, 2021
Charlyne Genoud | Peut-on demander à ses propres enfants de nous aider à mettre fin à nos jours ? C’est la question singulière qu’a posé François Ozon au public cannois cet été par le biais de son nouveau film « Tout s’est bien passé ». Une question formulée aisément grâce aux performances de Sophie Marceau, de Géraldine Pailhas, d’André Dussollier, et à une Charlotte Rampling malheureusement peu à l’écran. Le film est une adaptation du récit autobiographique d’Emanuèle Bernheim. Après la Croisette et sa compétition, « Tout s’est bien passé » au cinéma d’Oron.
Assistance à la mort
Au lendemain d’un accident vasculaire cérébral, André veut parler à sa fille Emmanuèle: l’octogénaire aimerait qu’elle l’aide à faire « Exit », bien que la prestation soit onéreuse et surtout interdite en France. Pour le premier de ces deux obstacles aucun souci: la famille d’Emmanuèle est issue de ce milieu grand bourgeois très représenté dans les productions de l’hexagone, et particulièrement dans celles d’Ozon. Les dix mille euros à débourser ne posent ainsi pas de problème à cet ancien collectionneur d’art, un aspect presque politique qui est par ailleurs thématisé alors qu’il s’écrie « mais comment font les pauvres pour mourir ? ». Comme souvent, « les pauvres » attendent leur tour a-t-on envie de lui souffler…
Hors la loi
Pour le deuxième des freins au projet, celui que constitue la loi française, les choses se compliquent en revanche. André doit prévoir un voyage en Suisse, un aller sans retour à destination de Berne, qu’il est tenu de garder secret. Mais le patriarche a la langue bien pendue - et pas seulement parce qu’André Dussollier apparait caricaturalement grimaçant dans ce long-métrage. Les aléas de la mort assistée sont par ce biais montrés plus largement, menant certains des personnages jusqu’au commissariat. Agender sa date de mort n’est en outre pas chose aisée pour le père qui n’aura de cesse de la repousser, au point que son hésitation devienne le point de suspense du film. A plusieurs reprises, André repousse son dernier jour. Ira-t-il au bout de sa démarche ? La question donne au film un mouvement d’aller-retour qui se veut dynamisant. Si ces décisions de vie ou de mort n’activent pas l’empathie du spectateur ou de la spectatrice du film, qui voit avec distance ce personnage parodique, ces promenades d’une décision à l’autre affectent en revanche grandement les deux filles du vieil homme. Déséquilibrant les liens parents-enfants, attentant à la relation des deux sœurs, sa requête les fait tourner en bourrique. Car dans la formulation de la demande se dévoile un déséquilibre qui vaut comme toile de fond du climat familial de la famille Bernheim.
Sandwich triangle
La relation père-fille qui lie Emmanuèle à son père n’est jamais illustrée très explicitement, mais se lit par quelques légers faisceaux de lumière sur leurs passés. Quelques flashbacks d’amour et de haine, et surtout quelques très jolies scènes de sandwich ! Couché sur son lit d’hôpital, André réquisitionne en effet un sandwich dans lequel il croque une fois et qu’il abandonne ensuite, laissant une trace de dents en plein centre de ce sandwich triangle. Durant les longues semaines difficiles qui suivent, Emmanuèle sort de temps en temps l’en-cas de son frigo, puis elle le congèle, jusqu’à finalement l’abandonner à son tour. Symboliser le lâcher prise par deux tranches de pain dans une poubelle, en somme. Certain·e·s crieront au gâchis.
Tout s’est bien passé (François Ozon, 2021) Au cinéma d’Oron