Cinéma – Emilia Pérez
Un opéra filmique sur la transition d’une narco-trafiquante
Dimanche soir avait lieu au cinéma Pathé Flon une avant-première du film « Emilia Pérez », en présence de son auteur. Le dernier opus du réalisateur français Jacques Audiard, qui sortira en salles en août, combine les genres du film de narcos, de la comédie musicale et du récit de transition de genre avec une folie jouissive.
Emmener les personnages en musique
Une vue aérienne de Mexico de nuit. Sur cette image qui semble toute droite sortie d’une banque d’images stock s’entame la première chanson d’un film qui n’hésitera pas à nous en mettre plein les oreilles. Assez étrangement, des voix chantent alors en cœur « nous achetons des matelas, des sommiers et des micro-ondes ». Premier fou-rire d’incompréhension : où sommes-nous que se passe-t-il ? Après un bref appel avec son supérieur, Rita (Zoé Saladaña), une avocate surqualifiée qui n’en peut plus de plaider la cause de margoulins jette son téléphone sur son bureau. S’entame une séquence magistrale où la rédaction d’une plaidoirie est téléportée bien au-delà du pupitre nocturne de la juriste exploitée. D’un magasin où elle marmonne dans sa barbe les mots qui seront clamés à la cour le jour suivant, Rita est catapultée dans les rues où des manifestant·e·s chantent en cœur ce qui la préoccupe : la violence d’une société mexicaine qui protège les criminels. Le cadre est posé, Jacques Audiard s’octroie un laisser-passer bien au-delà des règles scénaristiques classiques. Dès ces premiers instants, le réalisateur cumule des idées loufoques de mise en scène qui valent le détour. Ces séquences chantées emmènent ainsi plus loin ses personnages sans vraiment ralentir le récit.
« Un goût de merde dans la bouche »
Lors d’un appel à sa mère à l’issue du procès gagné alors que son chef se pavane sous les flashs, Rita n’hésite pas à préciser « on a gagné mais j’ai un gout de merde dans la bouche ». Pas étonnant donc que lorsque le narco-trafiquant Manitas (Karla Sofía Gascón) lui propose une petite fortune pour être en charge de sa transition de genre et de l’orchestration de sa disparition (pour renaître sous le nom d’Emilia Pérez), Rita accepte. La voilà partie pour un voyage à travers les cliniques du monde entier, dans lesquelles les chansons s’enchaînent avec emballement. Parfois comiques, parfois touchantes, les mélodies (composées par Clément et Camille Ducol) parviennent sans cesse à s’adapter au personnage qui les incarne sans devenir pour autant dissonantes. La très studieuse Rita chante ainsi en regardant droit dans la caméra des mélodies qui semblent sorties de « High School Musical », alors que Manitas enchaîne ses strophes sur un ton monocorde. Jacques Audiard parvient ainsi à tenir en haleine par l’absurdité de séquences musicales qui apparaissent dans un contexte qui ne s’y prête d’apparence pas.
Sainte Emilia
Dans cette sorte d’opéra de plus de deux heures tourné intégralement en studio, ce qui pourrait être le centre du récit n’en est qu’une brève partie. Les chemins de Rita et d’Emilia Pérez se recroisent ainsi quelques temps après l’opération de cette dernière. S’entame alors une histoire d’amitié et de réparation, dans laquelle le personnage archétypal d’Emilia tente de se repentir en aidant les familles mexicaines qui ont perdu des proches dans les sombres affaires de narco-trafique. La fin du film érigera même la protagoniste au rang de sainte, dans une séquence aussi fantasque que le long-métrage qu’elle conclut.