Cinéma – DAAAAAALÍ ! de Quentin Dupieux
Quentin Dupieux signe le scénario, la réalisation, l’image et le montage d’un film déjanté qui n’a de cesse de jouer avec les codes du septième art pour dresser le portrait du maître surréaliste. La distorsion de l’espace-temps du film colle à merveille à son protagoniste tout en extravagance, qui aime troubler les frontières de la réalité.
Rêver en attendant le maître
Judith (Anaïs Demoustier), attend avec impatience la venue du grand maître de la peinture surréaliste qui a bien voulu lui accorder une interview. En face d’une caméra qu’elle s’imagine probablement, l’ancienne pharmacienne devenue journaliste s’entraîne à se présenter. De bout en bout du film, elle parle ainsi d’une admiration sans borne pour le peintre, qu’elle n’explicite jamais. Cette admiration la pousse néanmoins à ne pas baisser les bras, malgré tous les bâtons que le comportement de Dalì met dans ses roues. Au terme de cette présentation, Judith s’endort, dans un temps distendu duquel le film se joue, et rêve à une scène aussi surréaliste que les tableaux de l’artiste qu’elle s’apprête à rencontrer.
Le couloir s’allonge
La distorsion temporelle de cette première séquence est ensuite omniprésente dans un film qui tourne le rythme en dérision. Alors que Dalì arrive dans le couloir de l’hôtel, un champ-contrechamp étire son arrivée en multipliant les plans qui le font sans cesse recommencer sa marche depuis le début du couloir. La capacité du montage à étirer l’espace est ainsi poussée à son maximum, puisque Dalì met près de dix minutes à atteindre Judith, postée bien droite devant la porte de la chambre dans laquelle l’interview doit avoir lieu. La scène est tordante, d’autant plus qu’elle est suivie par une séquence d’interview qui n’excède pas les cinq minutes. La temporalité du film est ainsi de bout en bout si alambiquée qu’elle est presque indescriptible. La distorsion temporelle de Daaaaaalì ! fait par ailleurs écho à sa narration, qui montre Dalì confronté à une version plus âgée de lui-même, et qui semble sans cesse le menacer. Alors que Dalì au sommet de sa gloire est tour à tour interprété par Gilles Lellouche, Edouard Baer, Jonathan Cohen ou Pio Marmai, il voit ainsi une incarnation de lui-même décrépie qui le pousse à accepter d’être immortalisé sur la pellicule de Judith.
Rire des codes de l’œuvre
Dupieux se joue d’un récit enchâssé qui redéfinit constamment l’appartenance des plans du film de Dupieux au film que réalisent Judith et Dali. La mise en abyme est telle qu’elle perd complètement son public jusqu’à le pousser dans un désarroi hilarant. L’histoire est ainsi presque vide tant elle passe de temps à se jouer des codes. On ne saura pas vraiment ce qui pousse Judith à s’acharner de la sorte, ni concrètement ce que fait Dalì de son temps (si ce n’est lors d’une scène où il peint). Les personnages sont pris dans un récit absurde qui les renvoie sans cesse à la case départ. Cette manière de faire un film sur un Dalì fictif est aussi comique que pertinente. Le film de Dupieux dresse en effet le portrait d’un personnage extravagant en l’étant tout autant. À ce titre, on pourrait dire que le film brasse avec brio de l’air, dans une déclamation et un jeu superbes par ailleurs thématisés lorsque Dalì décide de mettre Judith en scène. Merveilleusement inhalé et expiré, l’air qui circule dans Daaaaaalì ! est un rire singulier qui prend pour cible le dispositif de l’œuvre cinématographique.
DAAAAAALÍ !, fiction de Quentin Dupieux
France, 2023, 78’, VF, 16/16 ans
A voir au cinéma d’Oron