Cinéma – Car parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires
Après Gueule d’ange, Vanessa Filho adapte le livre de Vanessa Springora Le consentement. L’ouvrage paru en 2020 décrit la longue relation d’abus qu’elle a vécu, dès ses 14 ans, avec l’écrivain Gabriel Matzneff, de quarante ans son aîné.

Abus publique
Alors qu’elle s’apprête à souffler ses quatorze bougies, Vanessa rencontre un ami de sa mère : Gabriel Matzneff. Le célèbre écrivain acclamé par les milieux intellectuels des années 80 met le grapin sur elle et l’entraîne dans une sombre relation abusive, à la vue de toutes et tous mais que personne n’ose contester. L’adolescente mettra ainsi quatre ans à prendre conscience de l’invalidité de son consentement d’enfant, et bien plus de temps à se remettre de l’abus qu’elle a vécu publiquement puisque l’écrivain racontait leur relation dans ses livres.
Le miroir comme point de situation
Parce que le cinéma a la capacité de montrer la subjectivité d’une vision et d’un souvenir, on aurait pu souhaiter du film de Filho qu’il se fasse porte-parole du traumatisme tel qu’il est vécu, notamment parce qu’il adapte un récit à la première personne. On aurait pu rêver ainsi à une prise de liberté formelle, que la réalisatrice s’autorise presque uniquement en fin de film, au moment où sa protagoniste prend conscience du traumatisme qu’elle a vécu. Le montage se saccade alors, et le point de vue sur la situation prend de l’ampleur, quelque chose se passe enfin. La période de crise que traverse la protagoniste est très bien mise en scène, notamment dans une chambre louée par l’abuseur mais qu’elle revisite seule. Perdue dans cet espace que leur lien a investi, elle erre et revoit ce qui semble lui apparaitre enfin comme un abus de pouvoir. Perdue dans la dissociation qu’impose souvent un abus, elle se voit dans un miroir et se retrouve, de la même manière qu’elle le fera un peu plus tard avec son amie d’école qu’elle avait délaissée. Car au-delà de son lien à sa propre personne, Vanessa perd son lien aux autres au fur et à mesure de son histoire avec Gabriel.
Ce que les mots ne peuvent rendre
Avant cette dernière partie, le film se cantonne à une représentation assez classique d’une terrible histoire d’abus, qui a néanmoins pour elle le mérite d’informer en horrifiant. Il y a en effet dans le projet de la réalisatrice une nécessité qui axe probablement ses choix de simplicité : celle de mettre en image, après que Vanessa Springora l’a mise en mot, la réalité horrible de l’abus de pouvoir de Gabriel Matzneff. Même en ayant lu le livre, on est ainsi sidéré de voir les traits ridés de Jean-Pierre Rouve approcher le visage enfantin de Kim Higelin. Or ce dernier a 56 ans, et Matzneff était bien dans la cinquantaine au moment des faits. Dans ma recherche google d’obstinée visant à contrôler l’adéquation entre l’âge du protagoniste de Springora et celui de Rouve, je reconnais ainsi l’intérêt fondamental du projet de Filho : celui de mettre sous nos yeux l’inconcevable monstruosité. Si les mots peuvent le dire, l’image parle ici autrement fort. Le scénario semble suivre cette ligne directrice, en adoptant des dialogues très explicatifs. Le silence vient ainsi parfois à manquer dans une situation qui est par essence violente et qui aurait dès lors pu par instants se passer de mots. On projette néanmoins facilement dans ce choix la volonté de la réalisatrice de parler aux plus jeunes en déployant un scénario très pédagogue, ce qui semble bien fonctionner puisqu’un nouvel hashtag a vu le jour sur Tik Tok [un réseau social très prisé des jeunes] au sujet du film.
Par peur de te perdre
Laetitia Casta interprète la mère de la protagoniste dans tout ce qu’elle a de plus dépravé. Déçue par des hommes, elle boit en peignoir en se plaignant auprès de sa fille, ignorant en même temps son rôle d’autorité. Lorsqu’elle tente de la protéger des griffes du bourreau, elle semble fléchir par peur de la perdre complètement. Si une autorité salvatrice ne règne pas au sein du binôme, leur lien survit à toutes les horreurs vécues grâce à une complicité que la fin du film dépeint très bien. Alors que Vanessa souffle ses dix-huit bougies, les deux jeunes femmes écoutent la chanson « Mon enfance » de
Barbara et chantonnent certaines des paroles qui décrivent tristement les quatre années de traumatisme que le film a raconté.
Le consentement, fiction de Vanessa Filho, France, 2023, 118’, VF, 16/16 ans
Les jeudi 7 et vendredi 8 décembre à 20h et samedi 9 décembre à 18h, au cinéma d’Oron