Cinéma – Bonnard, Pierre et Marthe, de Martin Provost
A voir au cinéma d’Oron dès cette semaine

Après La bonne épouse en 2020, le nouveau long-métrage de Martin Provost se donne pour défi de retracer toute la vie du couple d’artistes peintres nabi en deux heures.
Du tableau au cinéma
A la fin du XIXe siècle à Paris, Maria Boursin dite Marthe, rencontre Pierre Bonnard, un patronyme qu’elle associe bien vite au mot « bonheur ». Lié par une passion durable, le couple vit reclus de la capitale française, non loin de Giverny où réside alors la famille Monet. Dans cette campagne verdoyante aux couleurs pastel sont ainsi représentés les déjeuners des tableaux de ces maîtres de la peinture. Ces images exposées de nos jours dans les musées sont ainsi recréées par Martin Provost dans tous leurs mouvements. Y sont superposées des conversations pleines de tensions faisant passer les images fixes et muettes à des séquences narratives. L’existence de ces tableaux a par ailleurs guidé les acteurs et actrices dans leur travail de préparation, puisque presque tous les protagonistes du récit ont peint à un moment ou à un autre. Si cela peut sembler évident pour l’incarnation du personnage de Pierre Bonnard, ceci est intéressant dans le cadre du travail de Stacy Martin, qui incarne René, une jeune étudiante des beaux-arts dont Pierre s’entiche. Ce personnage secondaire moins connu de l’histoire a ainsi pu être cerné et compris par l’actrice par l’observation de ses œuvres.
Marthe peinte
Passé le premier désir de Pierre de peindre Marthe qui donne lieu à leur rencontre, l’artiste passera sa vie à représenter sa femme, de sa jeunesse à ses dernières années passées dans une baignoire pour soigner son asthme. Présente dans la majorité des tableaux du maître du début du XXe siècle, elle semble tout aussi importante pour son œuvre que lui-même. Au-delà du statut de muse, son énergie semble avoir guidé le travail de celui pour qui elle s’est rendue toute sa vie durant disponible. Martin Provost la représente à la fois dans ses sacrifices, mais aussi dans toute sa force d’existence. Omniprésente dans son œuvre, cette compagne de vie méritait qu’un biopic sur son mari la prenne suffisamment en compte, comme le fait Martin Provost avec son film.
Figures de femme
Le réalisateur donne ainsi de la complexité à son personnage féminin en la laissant être tour à tour puissante puis abandonnée, frôlant la folie puis l’embrassant totalement. Dans tous ces cas, la complexité du personnage découle notamment de sa rencontre avec des figures de femme qui lui sont antagonistes. Il y a tout d’abord Misia, la mondaine parisienne qui enchaîne les maris pour s’élever financièrement, n’hésitant dès lors pas à sacrifier son art au profit de l’argent. Cette ancienne amante de Pierre Bonnard est à la fois la rivale de Marthe, mais aussi une figure de femme sacrificielle que Marthe ne peut supporter. Martin Provost mais ainsi en scène une drôle de confrontation entre les deux femmes, dans l’eau jusqu’aux épaules, en train de se dire leurs quatre vérités. Plus que l’échange entre les deux personnages, la séquence semble révéler le conflit interne de Marthe, sans cesse entre sacrifice et ancrage.
Vers le milieu du film surgit René, jeune femme dans sa vingtaine qui apprend la peinture. Frêle petite blonde à la gueule d’ange, elle apparait comme un archétype de femme fragile n’attendant que d’être protégée. Par opposition, Marthe nous apparait soudainement comme une matrone très forte et presque austère, rigide quoiqu’accueillante.
Charlyne Genoud, charlyne.genoud@le-courrier.ch