Cinéma – « Apprendre » de Claire Simon

En français, le verbe apprendre désigne à la fois le fait d’acquérir des connaissances, et celui d’en transmettre. De ce double sens que relève Claire Simon en interview, la réalisatrice brosse un beau portrait de l’apprentissage par le lien prof-élève.
D’Ivry à Paris en bateau mouche
Il y a près de trente ans, Claire Simon filmait déjà la cour d’une école primaire avec Récréations (1992). De retour en milieu scolaire, il s’agit cette fois-ci de portraiturer le lien d’apprentissage qui unit les enfants aux adultes qui les encadrent. L’originalité du film est ainsi de se placer à hauteur d’enfant tout en restituant leur contact aux adultes enseignants. Moins qu’un itinéraire personnel, « Apprendre » représente un système. Dès lors, sans suivre des personnages précis – au point parfois de nous perdre légèrement – le film navigue dans l’école et entre ses élèves et professeur·e·s pour restituer un mouvement : celui de la classe au monde. Le groupe d’enfants est vu comme une masse mouvante, qui traverse l’école pour mieux en sortir. Ils·elles sont de passage auprès d’adultes, attaché·e·s et attachant·e·s, du « bonjour maîtresse » de rentrée au déchirant « au revoir maîtresse » de fin d’année.
Des adultes à hauteur d’enfants
Comme on casterait un·e acteur·ice, Claire Simon a dû trouver son institution protagoniste. L’école Makarenko à Ivry-sur-Seine est un établissement primaire de banlieue parisienne. Faire un documentaire, c’est aller dans un lieu avec une sonde visuelle et une autre sonore. Claire Simon scrute ainsi les classes pour y lire ce que représente l’école dans les yeux de ses personnages.De près, les élèves se révèlent dans toute leur application, bien loin du cliché des écoles de banlieues que le cinéma s’attelle fréquemment à perpétuer. Les enfants accaparés par leurs activités scolaires oublient la caméra tenue par la réalisatrice. Si le film est à hauteur d’enfant, les adultes qui les encadrent sont fondamentaux pour les comprendre. Le corps enseignant est dès lors filmé singulièrement, au point que l’on ait presque le sentiment de voir pour la première fois des professeurs·es à l’écran. Le cadre scolaire est ainsi vu comme un fabuleux outil de la société pour former ses citoyens.
Une œuvre de Chopin
Dans cette école où tout se passe pour le mieux, apparaissent petit à petit les éléments plus compliqués qui existent dans toute forme de vie en communauté : un enfant est exclu et harcelé, un autre ne peut rester en classe sans perturber ses camarades. Sans être le centre de ce que raconte Claire Simon, ces faits sont nécessaires au portrait honnête du milieu scolaire. Les violences ne sont pas cachées : ni celles perpétrées par les enfants, ni celles subies par eux. Alors que les élèves d’Ivry rencontrent ceux·elles de l’école alsacienne, issu·e·s d’un milieu plus aisé comme le signale la feuille d’appel, Claire Simon les filme en train de regarder les jeunes premiers·ères jouer. Une petite fille annonce qu’elle va interpréter « une œuvre de Chopin », après s’être très légèrement insurgée du piano sans pédale d’Ivry. En parallèle, les élèves d’Ivry gesticulent joyeusement en interprétant « Diamonds » de Rihanna. La fracture sociale est vue et assumée, elle n’empêche pas de ressortir d’ « Apprendre » avec beaucoup de confiance sur les bienfaits de la scolarité.