Cinéma – A la rencontre de Nadège de Benoit-Luthy
Réalisatrice de Pauline grandeur nature
A l’occasion de la sortie de son premier long-métrage, nous avons interviewé la rayonnante réalisatrice des Cullayes, Nadège de Benoit-Luthy. Après des études de cinéma bouclées en 2003 à l’écal, et trois court-métrages salués par divers prix, elle s’apprête à enchaîner les premières pour son film Pauline grandeur nature dans toute la Suisse romande, avec l’enthousiasme et l’entrain qui semblent la qualifier.
Le Courrier : Ton film parle de Pauline, une paysagiste qui doit jouer des coudes pour s’imposer dans un milieu professionnel dominé par des hommes. Est-ce que tu es partie d’expériences personnelles pour écrire ce personnage, par exemple dans le monde du cinéma suisse ?
Nadège de Benoit-Luthy : C’est vrai qu’à mes débuts, le cinéma était vraiment un monde masculin. A l’Ecal, dont j’ai été diplômée en 2003, j’étais la seule fille de ma volée. Heureusement, les temps ont changé. Néanmoins, je me rappelle très bien que pour mon film de diplôme, quelqu’un dans le jury m’a dit que c’était un « très joli film de femme ». Un message contradictoire : on te dit « joli film », ce que tu as envie de recevoir, et en même temps « de femme », comme si on te réduisait à ton sexe. Pourquoi pas juste dire que les films sont jolis, point.
LC : Comment t’es-tu attelée à la représentation de ce métier ?
NBL : Je suis mariée à un paysagiste, donc ça fait des années que j’observe ce milieu. Les femmes sont beaucoup au bureau, alors que les hommes vont plus sur le terrain. Ces choses changent, mais j’ai choisi que dans mon film il n’y ait aucune femme sur le terrain, parce que c’est représentatif de ce qu’il se passe souvent. Aussi, les figurants sont tous des gens qui ont un rapport avec le métier, et qui connaissent les gestes de ce travail et savent comment se comporter sur un chantier.
LC : Outre ce monde masculin du paysagisme, ton film parle d’un rapport mère-fille changeant. Comment ces deux pans de l’histoire t’ont occupée à l’écriture du film ?
NBL : Souvent j’ai l’impression qu’on résume le film en parlant plus du travail de Pauline que de son rapport à sa mère, alors que c’est ce deuxième aspect qui a guidé son développement. Pour moi, Pauline grandeur nature raconte plusieurs étapes d’un rapport mère-fille jusqu’à l’émancipation de cette dernière. J’aime personnellement beaucoup le personnage de Suzanne, la mère, qui veut profiter de sa retraite. En voyant le film, certains sont choqués de son égoïsme jusqu’au moment où on saisit qu’elle a besoin de se tirer et qu’elle est en fait pleine d’ambivalences. J’ai toujours voulu que Suzanne parte et laisse Pauline seule avec ses enfants, et que le tout soit compliqué. Il fallait qu’elle ait une raison de compter sur sa mère. Petit à petit m’est donc venue l’idée qu’elle ait un métier challengeant. Elle aurait pu faire un autre travail, mais je voulais filmer la nature, qui permet de représenter le temps qui passe, contrairement à des bureaux. Ma co-scénariste m’a donc proposé ce à quoi je n’avais pas pensé mais qui était sous mon nez depuis longtemps : le paysagisme !
LC : La nature suisse tu la connais bien, ayant grandi aux Cullayes, étudié à Lausanne. A quel point la région t’a donc inspirée ? Où est-ce que vous avez tourné ?
NBL : On a tout filmé dans la région lausannoise, notamment au parc de l’Elysée, qui s’appelle le parc du Léman dans le film. J’ai essayé d’éviter de montrer le côté carte postale de la Suisse. On voit les montagnes, le magnifique panorama, mais je n’en fais pas un sujet. Je voulais que ce soit une histoire qui pourrait se dérouler n’importe où. J’ai néanmoins trouvé très beau de collaborer avec des gens d’ici. Les gens étaient tellement contents qu’il se passe quelque chose dans la région qu’ils m’ont beaucoup aidée. Il y a par exemple une pépinière qui nous a prêté sept camionnettes de plante pour la scène finale ! Les gens étaient hyper arrangeants et mettaient volontiers la main à la pâte.
LC : Comment définirais-tu ton travail et ce que tu aimes représenter dans ton cinéma ?
NBL : Ce que j’aime, c’est observer le quotidien. Il n’y a pas de scènes d’action spectaculaires ou de courses poursuites dans mon cinéma. Il s’agit pour moi de partir de situations simples et de montrer cela avec de l’humour et de la légèreté, tout en touchant à des choses profondes, comme le lien mère-fille. J’adore lire des haïkus japonais par exemple, parce qu’ils rendent cette impression qu’un micro-agissement peut être époustouflant. Mais quand tu t’attèles à parler de choses simples et quotidiennes se pose vite la question de comment amener de la tension au récit. C’est ce qui a représenté beaucoup de travail à l’écriture du scénario de Pauline grandeur nature. Quand tu es dans des choses aussi délicates, c’est dur de trouver un équilibre entre efficacité narrative et poésie.
« Pauline grandeur nature » fiction de Nadège de Benoit-Luthy
Suisse, 2023, 90’, VF, 16-16 ans
A voir au cinéma d’Oron
Première en présence de la réalisatrice Nadège de Benoit-Luthy
Dimanche 9 juin, 18h