Cinéma – « Tout çà à cause du fromage ! »
« Vaches sur le toit » – Documentaire de Aldo Gugolz
Entre vaches et chèvres, les Alpes tessinoises en toile de fond, un couple de marginaux s’inquiète pour leur avenir. Le film raconte les dernières errances d’un monde rural dont la survie, basée essentiellement sur la production du fromage, est en danger. A cette situation s’ajoute une intrigue policière invraisemblable.
L’affaire de la jambe
Colette Ramsauer | Fabiano et Eva livrent leurs tourments. L’homme raconte le rêve qu’il a eu d’une vache qui tourne en rond sur son toit, qui finit par céder: l’image d’un cauchemar qui sert de titre au film. Le couple n’est pas épargné lorsque, en 2017, un de leurs ouvriers agricoles, macédonien engagé au noir, disparaît un soir au retour de la vallée où il était allé voir un match télévisé. Trois semaines plus tard, un promeneur découvrait une jambe sur son chemin et un an plus tard on retrouvait les restes du disparu dans un ravin. Les médias s’emparaient de l’événement et les spéculations allaient bon train dans toute la région. L’esprit trop encombré, Fabiano rongé par la culpabilité « Un jour j’irai là-bas voir sa famille, c’est promis ! », réussira-il avec sa compagne à construire une nouvelle vie ?
Pesant rôle du père
Alors que Eva ne se voit pas ailleurs que sur l’Alpe d’Arena, près des bêtes, pour élever son enfant, Fabiano 38 ans, endetté, s’inquiète pour leur futur : « Ici à la montagne, ce n’est plus possible avec une famille. Trop de travail pour pas assez d’argent, bordel de merde ! » Son fromage est acheté à un prix dérisoire. Déjà dans « Rue de Blamage », en 2017, le documentariste Aldo Gugolz mettait en scène un musicien de rue toxicomane qui tente d’assumer sa nouvelle existence de père. Dans « Vaches sur le toit », il revient sur le problème de réinsertion des adultes qui voient les options de vie diminuer au fil du temps.
Confessions
Fabiano et Eva vont être parents. Ils parlent directement à la caméra de la difficulté de vivre une grossesse dans l’ombre d’un drame non élucidé. « Tout çà à cause du fromage ! » se lamente Fabiano qui tient cette activité de son père. Celui-ci faisait partie, dans les années 70, d’une génération de hippies alémaniques, des néo ruraux qui prenaient racine dans les montagnes pour expérimenter des nouvelles formes de vie sociales. Première cigarette à 7 ans, première dose de LSD à 14 : l’éleveur d’aujourd’hui – comme son père – avoue n’être jamais entré dans le système. Quant à Eva, elle déplore les méfaits de l’addiction : « L’alcoolisme est un fauteur de trouble dans ce bel univers. Je ne me sens pas pas armée pour lutter contre ça. Je suis comme au pied d’un grand mur. »
Sans épilogue
Pas étonnant que le film ait obtenu le prix du « long métrage le plus innovant » à Vision du Réel 2021 pour sa manière de traiter le sujet. Les prises de vue et plans fixes de la cheffe opérateur Susanne Shüle sont captés avec beaucoup de ressenti du monde rupestre. Le film est comme un beau livre d’images dont chaque page mène à un nouvel épisode du récit. Qui se termine en point de suspension: Fabiano et Eva sont-ils restés sur l’Alpe Arena? Nicola H., ouvrier agricole macédonien, 57 ans, est mort dans des circonstances on ne peut plus floues. L’affaire, classée dans un premier temps, reprendra suite à la découverte d’un nouvel indice qui fera chambouler toutes les hypothèses. On en dira pas plus.
« Vaches sur le toit » de Aldo Gugolz – Documentaire, Suisse, 2020, 82′, vo sous-titrée – A partir du 2 juin au cinéma d’Oron
Transmettre les événements
Le cinéaste Aldo Gugolz (Lucerne 1963) travaille entre la Suisse et l’Allemagne. Il a réalisé plusieurs documentaires pour la télévision et le cinéma dont Zeit im Fluss en 1997, Leben ausser Atem en 2001, Wir Zwei en 2009, et Rue du Blamage en 2017 qui fut un réel succès. Avant de fréquenter la HFF de Munich, entre 1986 et 1992, Aldo Gugolz a étudié les sciences politique et communication à Zurich, tout en oeuvrant comme photo-journaliste pour différents journaux suisses. Avec « Vaches sur le toit » son intention était de transmettre les événements survenus dans la vie de Fabiano. « Dans une narration parfois suspendue, j’ai essayé de donner au spectateur la possibilité de percevoir l’invisible » éclaire-t-il. CR