CinéDoc saison 8
Smoke Sauna Sisterhood : Transpire ta souffrance
Récipiendaire du prix de la réalisation documentaire au Sundance Film Festival 2023, le film d’Anna Hints use d’un dispositif original, celui du sauna, pour conter des souvenirs de femmes.

Vierges à l’enfant contemporaines
Dans un sauna en Estonie, il y a d’abord un corps sans tête. Sur les genoux de la femme qui nous fait face, un bébé potelé nous laisserait presque croire que le projet d’Anna Hints est de représenter une vierge à l’enfant contemporaine. Ce premier plan de Smoke Sauna Sisterhood dure suffisamment de temps pour qu’en émane un véritable ressenti de la matérialité du corps, de son poids et de sa présence sous nos yeux. Des corps sans tête vont ainsi apparaître les uns après les autres, comme des masses de matière filmées de manière passionnante. Jamais sexualisés, ces corps sont le support des récits qui nous sont contés. Ils apparaissent ainsi comme des contenants que l’on peut laver de leurs traumatismes, purifier. La nudité non sexualisée d’un sauna est ainsi représentée par la manière de filmer d’Anna Hints. Le lieu clos dans lequel se retrouve ces femmes bénéficie par ailleurs d’une lumière particulière, créant un clair-obscur magnifique, qui finit de faire le lien avec des tableaux de la Renaissance notamment, tout en les déjouant.
Corps anonymes
Dans ce lieu traditionnel de l’Estonie sont abordés des sujets tels que Tinder et les sites pornographiques, des souvenirs d’enfance ou d’adolescence plus ou moins douloureux. Les femmes présentes rient, pleurent, se souviennent ensemble, s’écoutent surtout. Dans tous ces cas, la pudeur du film tient aux cadres qui n’incluent pas de visages si ce n’est un, comme pour anonymiser des corps que l’on relie dès lors à une sorte d’universel sororial. Les mains sont parfois seules au cadre, parlant presque encore plus qu’un visage. La peau vue de près apparait ainsi dans tout ce qu’elle a de plus naturel, vivant, présent.
Transpire ta peur
Le sauna est un lieu de soin du corps, mais aussi du psychisme. Laissant les mots guérir leurs maux, les protagonistes incarnent dans ce sauna la phrase qu’elles se chantent en cœur comme un mantra: « Transpire toute cette souffrance, transpire toute cette peur ». Le hors-champ du sauna apparait ainsi en filigrane de ces paroles: la violence du monde patriarcal qui a heurté chacune d’entre-elles à un moment ou l’autre est mis à distance de ce lieu de réunion et de résistance.
Smoke sauna sisterhoodde Anna Hints Estonie, 2023 – 89’, Vo stfr
Au cinéma de la grande salle de Chexbres
le vendredi 12 janvier, à 20h30
Séance en présence
d’Aurélie Netz, anthropologue
City Club Pully
12, 14, 19, 21, 24, 26, 27 et 30 janvier





