d’Andreas Müller, Simon Guy Fässler et Marcel Bächtiger

Charlyne Genoud | Gadjo – ou Ruäch en allemand – désigne dans la bouche des Yéniches, ceux qui n’appartiennent pas à leur communauté. Les trois réalisateurs du documentaire qui porte ce titre sont trois gadjos qu’un mystérieux ami invite par téléphone au sein de cette communauté discrète. Le trio suisse-allemand se lance sur les routes à la rencontre de familles yéniches parfois sédentarisées, dans les Grisons, en Savoie ou dans les forêts de Carinthie.

Une langue secrète

Les protagonistes du documentaire sont aux quatre extrémités de la Suisse. Ils parlent français, allemand ou suisse-allemand, mais évoquent toutes et tous la langue de leurs ancêtres : le yéniche. Cette dernière, proche du suisse-allemand, a été gardée secrète pendant longtemps, comme l’évoque l’un des hommes interviewés par les réalisateurs. Le rapport à la langue explicite ainsi la différence du lien à la société entre les anciennes et les nouvelles générations de yéniche. Les yéniches s’ouvrent désormais à des projets tels que ce documentaire, mais cela aurait été impensable il y a de cela quelques années.

Passé traumatique

Les prises de parole évoquent bien vite la raison de cette méfiance. Si elles vivent loin les unes des autres, les personnes rencontrées pour le film se retrouvent dans leurs souvenirs traumatiques, ceux d’une population que les autorités ont tenté de réprimer jusque dans les années 70. Lisbeth Sablonier, qui vit dans un camping des grisons, évoque ainsi la terrible campagne Projuventute qui tentaient d’enlever les enfants yéniches à leurs parents pour les placer en famille d’accueil. Un homme évoque le poids de ses souvenirs d’enfance, des souvenirs d’harcèlement et de stigmatisation. De ces traces reste ainsi une angoisse permanente des autorités, qu’une scène de pêche vient rappeler. Alors que les réalisateurs s’essaient à cette pratique, la panique monte lorsque le garde-chasse arrive. La longue histoire de discrimination et de persécution de cette communauté se lit ainsi dans des petits moments du films, dans le rapport entretenu à la caméra et dans les souvenirs évoqués.

La liberté

Au sein des occupations quotidiennes des Yéniches filmés, on voit aussi les traces de l’héritage laissé par les anciennes générations. Manuel Duda, qui vit dans une vallée isolée de Carinthie continue d’exercer le métier d’aiguisage de couteaux. Son savoir-faire issu de son père est transmis à son jeune fils. De villages en villages, ils aiguisent les métaux des citoyens. S’ils semblent avoir du plaisir à la tâche, Manuel rappelle qu’il ne travaille que pour joindre les deux bouts. L’essentiel de son temps, il le passe à se promener avec ses enfants, et à jouir de la liberté qui semble être le point commun le plus fondamental des individus de cette ethnie.

Gadjo – un voyage dans l’europe yéniche

d’Andreas Müller, Simon Guy Fässler et Marcel Bächtiger

Suisse, 2022
118’, Vo st.fr, 12/12 ans

Au cinéma de la grande salle de Chexbres
Le vendredi 16 février, à 20h30
Séance suivie d’une discussion
avec Andreas Müller, co-réalisateur