CinéDoc.CH – Autour du feu
d’Amanda Cortès et de Laura Cazador

En Suisse romande, à la fin des années 70, la bande à Fasel multiplie les hold-up et attaques armées pour se donner les moyens d’accomplir leurs idéaux de justice sociale. Après avoir purgé leur peine et écrit un livre pour l’un d’entre-eux, deux membres du trio se retrouvent autour du feu d’Amanda Cortès et de Laura Cazador face à trois militantes romandes pour discuter de leurs activismes respectifs.
Nuit-clos en forêt
Sur le site de Dok Mobile, la société de production du film, Autour du feu est décrit comme un « nuit-clos ». La nuit, cette temporalité parallèle au cours de laquelle la majeure partie des gens sont endormis, crée un espace de rencontre pour les cinq personnages marginaux du long-métrage. S’ajoute au lieu mystérieux de la nuit celui de la forêt. En marge des villes, ce bout de nature fait d’ombre et de cachettes est évoqué au sein même du récit de l’un des protagonistes comme leur ancien refuge. S’il regrette que la technologie permette aujourd’hui aux autorités de traquer celles et ceux qui s’y cacheraient, et empêchent donc aux fugitifs·ves d’y trouver refuge, cet espace est l’endroit idéal pour déployer le propos d’Autour du feu, tant il résonne avec ce qui s’y dit.
Portraits masqués
Assis autour d’un feu, Daniel Bloch et Jacques Fasel discutent ainsi de leurs actes politiques avec trois militantes suisses masquées et anonymes. Les cinq protagonistes que les idéaux réunissent se distinguent immédiatement par le rapport à soi que les couvre-chefs soulignent : alors que Jacques et Daniel étaient de leur temps connus des autorités sous leur propre nom, les trois activistes romandes militent au nom d’un groupe. L’une d’entre-elles souligne ainsi que sa présence dans le long-métrage fait du sens pour elle tant qu’elle n’incarne pas seule une cause qu’elle défend collectivement. Visuellement est ainsi immédiatement rendu compte de la différence entre l’activisme d’aujourd’hui et celui d’il y a quarante ans. Le film est ainsi constitué d’images d’insert de la forêt de nuit et d’images d’archive qui relaient les faits racontés, mais surtout de champs-contrechamps des personnages discutant. Pour un film reposant principalement sur des dialogues, ne pas voir la plupart des visages est ainsi assez troublant. L’œil – puisqu’il s’agit d’un film et non d’un podcast – qui cherche sans cesse à connaitre les personnages s’attachera ainsi à des détails, ne pouvant pas se reposer sur les expressions et émotions des visages tenus cachés. Si on comprend aisément la raison de ce choix, force est de constater que dans un dispositif aussi minimal, les faciès peuvent manquer, faisant se reposer le récit sur des voix, des postures et des costumes uniquement. Faire le portrait de quelqu’un de masqué a en effet quelque chose d’intrinsèquement singulier.
Un échange fructueux
Le temps d’une nuit autour du feu, les récits – plus que les débats – s’enchaînent. L’enjeu est moins de défendre ses idées que de partager comment on les vit et par quels moyens on les défend. Le face à face de deux générations de militants·es que leurs méthodes opposent donne lieu à une situation singulière. Les expériences respectives sont ainsi mises en parallèle, laissant la place à une discussion sur les limites de l’activisme. Le refus du système capitaliste, que tous partagent, amène ce qui semble être la question principale du film : quand l’état est violent, jusqu’à quel point peut-on l’être aussi ? Les protagonistes que cette réflexion préoccupe depuis des années échangent ainsi des idées très fondées et passionnantes, jamais basiques ou superficielles. Les deux réalisatrices semblent ainsi avoir très bien fait leur casting, de manière à ce que la matière première de leur film, l’échange, soit profondément digne d’intérêt.
Autour du feu
Documentaire, Laura Cazadoret
et Amanda Cortés,
Suisse, 75’, 16/16 ans