Ciné-doc diffuse le pays imaginaire de Patricio Guzmán
Deux ans après La cordillère des songes, Patricio Guzmán est de retour sur les grands écrans pour illustrer comment le Chili a retrouvé sa mémoire collective à l’automne 2019. Ciné-doc renoue ce mois-ci avec le réalisateur chilien de 81 ans ayant axé sa carrière et sa vie autour des mouvements sociaux qu’a vécu son pays.
Guzmán l’inarrêtable
En janvier 2020, j’écrivais dans cette même rubrique mon deuxième article, au sujet d’un film chilien : « La cordillère des songes ». Au lendemain des manifestations d’octobre 2019 au sein desquelles tout le Chili se réveillait, cette clôture à la trilogie de la lumière de Patricio Guzmán sortait en Europe et y faisait écho. Alors que nous regardions la conclusion qu’il avait choisi de donner à sa série documentaire sur la mémoire de son pays, Guzmán était déjà reparti, caméra au poing, filmer son pays d’origine qu’il avait toujours rêvé de voir se réveiller ainsi.
Les rêves éveillés d’un réalisateur
A 81 ans, les rêves de Patricio Guzmàn, qu’il a formulés au fur et à mesure de ces films, semblent plus que jamais se réaliser : mûs par l’augmentation du prix du ticket de métro opéré par le gouvernement de Piñera, des milliers d’étudiants se mettent à sauter les tourniquets, puis à descendre dans la rue. La révolte grandit, notamment lorsque le gouvernement déclare l’état d’urgence et fait intervenir l’armée. A l’image de ce que proposait Guzmán dans son dernier film, la constitution chilienne héritée de la dictature, est ainsi remise en question à grande échelle. Dans La cordillère des songes, Patricio Guzmán exprimait son désarroi face à la perte de mémoire qu’il voyait au Chili. Pour introduire son nouveau film, il souligne « Depuis Allende, je n’avais jamais vu une chose pareille. Comme au temps de l’Unité Populaire, j’ai entendu les chansons de Victor Jara et de Los Prisioneros et de bien d’autres encore. Elles étaient désormais interprétées par les gens d’aujourd’hui. J’ai eu le sentiment d’une mémoire parfaitement transmise et présente de tous les côtés ».
Pluralité de points de vue et de vécus
Le réalisateur filme ainsi des femmes de tous âges pour relayer le climat ambiant de la contestation. Il y a ainsi une courageuse manifestante qui raconte les risques qu’elle encoure, une photographe ayant pour projet d’illustrer la violence des forces armées, une secouriste, une cinéaste, une doctoresse, une politicienne: en une heure et demi, les prises de parole sont multiples. La longueur de ces entretiens face caméra semble bien pensées, puisqu’elles permettent de creuser le sujet tout en gardant une pluralité de points de vue. Elles permettent ainsi de restituer avec précision et profondeur un mouvement mené par le peuple, qu’aucune figure ne dirige. Illustrées par des photographies d’archive, ces prises de parole résonnent dans le film.
Les femmes en lutte
Le choix d’interroger des femmes permet en outre à Patricio Guzmán de restituer la place que prend la lutte féministe dans cette révolte générale. Au Chili, semble-t-il encore plus qu’ailleurs, les droits des femmes est en effet au premier plan des luttes sociales, puisqu’elles témoignent de comment sont traitées les minorités oppressées. Pour illustrer cela, le réalisateur rencontre le collectif La Taz, un groupe de quatre femmes chiliennes ayant inventé une performance reprise aux quatre coins du monde après sa création. La performance inclut toutes les femmes qui souhaitent y prendre part. Toutes ensembles, debout dans la rue, les yeux bandés, elles chantent avec puissance le refrain « C’est pas ma faute, ni l’endroit ni ma tenue. Le violeur, c’est toi ! ». Cette hymne, reprise à Lausanne par exemple lors de manifestations féministes, illustre ainsi la force de ces luttes féministes chiliennes. Les autres minorités oppressées ne sont par ailleurs pas en reste dans le film de Guzmán, puisqu’il prend aussi pour sujet une femme Mapuche que la révolte met au cœur de ses préoccupations.
« Mi país imaginario » de Patricio Guzmán Chili / France, 2022, 83’ VOST-FR, 14/16 ans
A voir lors de la projection ciné-doc de Chexbres, au cinéma de la grande salle, le vendredi 25 novembre, à 20h30. En présence de Esteban Muñoz, coordinateur Nouvelles Générations Chili – Suisse.