C’est à lire – Un autre Lavaux trop méconnu
Un petit livre richement illustré s’intéresse à ses constructions

Les touristes qui s’extasient devant les vignes de Lavaux croient souvent que c’est un paysage « naturel ». Or il n’en est rien. Il a été façonné par l’homme au cours des siècles et a subi d’importantes transformations. C’est ce que montre très bien l’ouvrage « de poche » Lavaux. Patrimoine bâti, conçu pour être emmené avec soi lors de balades qui s’annoncent passionnantes. Ces propositions d’excursions culturelles se déclinent en quatre parties, illustrées par de très nombreuses photographies et des plans.
Il faut lire d’abord, pour mieux comprendre, cinq courts chapitres introductifs d’une grande clarté. Le premier est consacré aux grands domaines ecclésiastiques, créés au XIe siècle. Auparavant, les pentes abruptes de Lavaux étaient probablement couvertes de broussailles. Epesses ne signifie-t-il pas taillis ou fourré ? Ce sont les moines – ou plutôt la population locale à leur service, pas toujours de son plein gré, ainsi que des immigrés piémontais – qui ont bâti les premières terrasses de vignes avec leurs murets. Il en reste le Clos des Moines, le Clos des Abbayes, sécularisés à la Réforme et appartenant à la commune de Lausanne, et le Domaine des Faverges, propriété de Fribourg, en récompense de sa participation aux côtés de Berne à la conquête du Pays de Vaud.
Un deuxième chapitre s’intéresse aux châteaux et maisons fortes du Moyen Âge. Il égratigne au passage certains mythes, tel celui selon lequel la tour de Gourze aurait été érigée contre les Sarrasins (Arabes d’Afrique du Nord et d’Espagne), ou même par eux… Quant à la tour de Marsens, sa fonction médiévale reste controversée.
Dès la conquête bernoise, des maisons patriciennes, attestant de l’opulence de leurs propriétaires, sont bâties. C’est particulièrement le cas de la maison Buttin-de-Loës à Grandvaux. Au XVIIIe siècle, le style architectural néoclassique s’impose.
Probablement mieux connues du public, les maisons vigneronnes. Or il ne faut pas oublier que, jusqu’au début du XXe siècle, les habitants des villages – bâtis sur les petits replats moins favorables à la viticulture – avaient simultanément des activités agricoles, d’élevage et viticoles. D’où par exemple la présence de granges et d’anciennes laiteries. En lisant ce troisième chapitre, on saura tout sur la maison vigneronne vaudoise. Particulièrement caractéristique est son « dôme », permettant de monter, à l’aide d’une poulie, les charges comme les sarments dans les vastes combles.
Un dernier texte, particulièrement original, présente Lavaux à l’époque contemporaine. Sait-on que, jusqu’au XIXe siècle, avant la création des quais (par exemple à Lausanne, Lutry et Vevey), les bords du lac étaient des grèves où s’activaient les lavandières ? Ces quais, avec leurs ports, répondaient notamment aux besoins de la navigation à vapeur. Les chemins de fer – lignes Lausanne-Valais puis Lausanne-Berne – ont bouleversé le paysage de Lavaux. Ainsi que l’autoroute ouverte en 1973. Les lecteurs découvriront avec intérêt plusieurs maisons d’avant-garde des années 1930, à l’instar de la villa-atelier du peintre Italo De Grandi à Corseaux, conçue par l’architecte Alberto Sartoris.
Il est impossible de détailler ici les itinéraires proposés, qui permettent de voir – et dans certains cas de visiter – un très grand nombre d’édifices tant militaires que religieux ou profanes. Une mention particulière pour la maison Mégroz à Lutry avec son architecture Heimatstil, l’imposante maison Maillardoz à Grandvaux (1594), l’église de Villette et sa fresque très particulière peinte par Charles Clément, le garage Central de Cully avec ses arrondis et fenêtres d’angle inspirés par Le Corbusier, le château de Glérolles qui fut résidence de l’évêque de Lausanne, le centre religieux protestant de Crêt-Bérard construit dès les années 1950 comme un monastère roman, l’immeuble administratif Nestlé, œuvre d’avant-garde de Jean Tschumi en 1960. Mais c’est là un choix arbitraire. Les promeneuses et promeneurs, à l’aide de ce précieux petit livre, découvriront quantité d’autres centres d’intérêt. L’ouvrage renouvelle notre vision de Lavaux, qui ne se bornera plus à ses vignes et à ses excellents crus. L’un n’empêchant d’ailleurs pas l’autre…
Architecture de poche. Lavaux Patrimoine bâti, sous la dir. de Bruno Corthésy, Association Patrimoine en Lavaux, éd. par la Société d’histoire de l’art en Suisse et, Berne, 2022, 256 p.