C’est à lire – Pour rafraîchir ses connaissances en histoire suisse !
Les cent courts textes de Benedikt Meyer se lisent facilement

Disons-le d’emblée : cet ouvrage ne s’adresse pas aux historiens chevronnés. Il vise un très large public. Et bien sûr, on pourra juger le traitement de chacun des épisodes relatés, tenant en deux ou trois pages, superficiel. L’auteur possède cependant un remarquable sens de la synthèse, il sait aller à l’essentiel, et de manière vivante. Cela malgré quelques lourdeurs dans la traduction française. Les trois volumes suivent une démarche chronologique. Mais les lectrices et lecteurs peuvent fort bien passer d’un texte à l’autre, même en remontant le temps, selon leurs intérêts propres. Quant à la très riche iconographie, elle contribue largement à notre plaisir. Certes, les sujets contemporains « qui fâchent », comme l’attitude de la Suisse pendant l’ère nazie et la Seconde Guerre mondiale, sont soigneusement évités, à l’exception d’un émouvant témoignage sur Maurice Bavaud, guillotiné à Berlin en 1941 pour avoir tenté d’assassiner Hitler. Et le premier volume frustrera un peu les Romands… qui (hormis Fribourg) au Moyen Âge et pendant les Temps modernes ne faisaient pas partie de la Confédération suisse !
Tous les domaines, allant de la Préhistoire au XXIe siècle, sont abordés. Celui des progrès scientifiques et techniques, avec par exemple le passage du bronze au fer, un excellent chapitre sur la sandale romaine qui a permis les conquêtes, les découvertes d’Einstein, le premier remonte-pente à Davos en 1934, ou encore la vogue du vélomoteur dans les années soixante. L’histoire sociale est aussi bien présente. Qu’il s’agisse des famines à la Renaissance et encore du début du XIXe siècle, cette dernière conduisant à une forte émigration suisse dans les Amériques, ou de l’incendie de la fabrique d’Uster par les tisserands à domicile, privés de leur gain et poussés au désespoir. Cela s’est passé en 1830. Les sujets sont tantôt graves, comme la drogue au Platzspitz puis au Letten à Zurich, tantôt plus légers, ainsi l’invention commerciale de la cuisinière Betty Bossy, ou le port du bikini par Ursula Andress dans James Bond 007.
Quant aux questions religieuses, elles sont aussi abordées. Mentionnons les bûchers de « sorcières », surtout à la Renaissance, l’arrivée des huguenots français après la Révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685 et la guerre du Sonderbund en 1847, dont Benedikt Meyer rappelle avec raison qu’elle fut aussi un conflit économique et politique entre cantons industriels et progressistes d’un côté, et régions rurales et conservatrices de l’autre. Un détail : pourquoi y avoir placé le portrait du général du Sonderbund Ulrich von Saglis-Soglio, et non celui de Dufour, dont on a cependant reproduit la déclaration aux troupes fédérales les invitant à la clémence ? Un exemple dans nos temps actuels, où l’on voit se multiplier dans le monde les crimes de guerre.
Sur le plan de l’histoire politique, bien sûr très présente dans l’ouvrage, on verra avec plaisir que l’auteur, souvent avec un brin d’ironie, pourfend un certain nombre de mythes nationaux. Non ! la Suisse que nous connaissons n’est pas née en 1291 par le serment du Grütli, date reprise lorsqu’au XIXe siècle elle eut besoin de légendes nationales rassembleuses, mais avec la Constitution de 1848. Laquelle excluait pourtant les Juifs de la nationalité helvétique… Le chapitre sur l’interdiction de l’abattage rituel, où la protection des animaux a certainement joué beaucoup moins de rôle que l’antisémitisme, est très bien abordé. Autre mythe depuis longtemps balayé par les connaissances historiques, celui des Lacustres, qui en fait vivaient sur les rives, et non isolés dans l’eau, comme le voudraient les partisans actuels d’une Suisse repliée sur elle-même et à l’écart du monde. Quant à la neutralité suisse, ce ne fut nullement un choix : elle nous fut imposée à la chute de Napoléon en 1815 par les Puissances européennes.
On dira que nombre de ces épisodes sont bien connus… et pourtant. D’autres le sont sans doute moins, tels les ravages de la peste meurtrière au XIVe siècle, les découvertes en mathématique du génial Bâlois Leonhard Euler au XVIIIe, la création du franc suisse ou la destinée de l’homme d’affaires zurichois Alfred Escher, qui fut à l’origine du tunnel du Saint-Gothard, inauguré en 1882, hélas au prix de nombreux accidents de travail.
Que les femmes se rassurent ! Elles ne sont pas les « oubliées de l’Histoire ». On en trouve de nombreuses dans ces trois volumes, qu’il s’agisse de la (mythique) reine Berthe, de Johanna Spyri, l’écrivaine qui a rendu Heidi célèbre dans le monde entier et qui fait accourir les touristes japonais en Suisse, de l’aventurière Ella Maillart ou encore d’Iris von Roten. Cette dernière publia en 1958 un brûlot féministe qui attira sur elle une incroyable haine.
Bref, que voilà une jolie idée de cadeau de Noël à l’attention de celles et ceux qui voudraient en savoir plus sur notre histoire sous toutes ses facettes !
Benedikt Meyer, 100 épisodes de l’histoire suisse, ill., Neuchâtel,
Editions Livreo-Alphil, 2023, 3 vol. contenus dans un coffret.