C’est à lire – Le superbe récit d’un périple à pied
De Grandvaux à Rome par la Via Francigena

Marie-Hélène Miauton est surtout connue comme entrepreneuse et auteure de chroniques dans le journal Le Temps. Après son exposé aux Veillées de Grandvaux, le 10 février, consacré à cette longue marche, elle a aimablement offert des exemplaires de son livre. C’est pourtant avec un peu de méfiance que je l’ai ouvert, pour avoir lu trop de récits de voyages ou d’aventures mal écrits et ennuyeux. Or il n’en est rien: cet ouvrage vaut pour l’élégance et la richesse de son style, mais surtout pour la profondeur des réflexions qu’il contient.
Il faut rappeler ce qu’est la Via Francigena, beaucoup moins connue que le (trop) célèbre chemin de Compostelle. Cette « voie qui vient de France » – en réalité de Canterbury – fut un autre chemin de pèlerinage, quasi oublié aujourd’hui. L’auteure et son compagnon en ont parcouru 1170 kilomètres à pied, en différentes étapes s’étalant sur plusieurs années. Bien que, de culture protestante, ils n’aient pas entrepris un « pèlerinage » au sens étroit du terme, leur périple s’est accompagné de préoccupations philosophiques et spirituelles. Bien sûr, la description, toujours précise et vivante, des contrées parcourues, a sa place dans le récit, qu’il s’agisse de l’ascension ardue du col du Grand-Saint-Bernard ou de celles des pentes abruptes des Apennins, de la marche plus monotone dans la plaine du Pô, ou encore des déambulations sur les restes des grandes voies pavées romaines. On y trouvera plein de notations sur les plantes, les arbres, la flore, les animaux sauvages ou domestiques, ainsi que sur les habitants et les quelques autres marcheurs rencontrés au passage. Le lecteur sent chez Marie-Hélène Miauton une authentique sensibilité à la nature. Mais l’essentiel du livre n’est pas là.
Celui-ci est d’abord un éloge de la marche silencieuse, sans oreillettes ni portable, sinon pour bénéficier des informations données par le GPS. Le fait de marcher offre des bienfaits physiques et psychiques, qui nous éloignent de la vie stressante et souvent futile que nous connaissons au quotidien. Une sorte d’ascèse donc. Le livre recèle aussi beaucoup d’humour, voire parfois un peu d’autodérision bienvenue. Les difficultés du périple ne sont pas non plus éludées : les dénivellés, le soleil écrasant, la pluie, la boue, l’absence de bancs pour s’asseoir ou de points d’eau, et par-dessus tout la crainte des chiens de garde, véritables molosses qui surgissent en aboyant devant les fermes isolées !

Ce long cheminement quasi solitaire (le compagnon de M.-H. Miauton le faisant à vélo), ce qui permet un retour sur soi, ne fut donc un voyage ni culturel ni touristique. L’auteure ne manque cependant pas d’évoquer la beauté de Pavie, l’intérêt du musée étrusque de Volterra ou encore, a contrario, la traversée des désolants faubourgs industriels de Rome. Les rencontres humaines furent relativement rares, mais souvent touchantes.
Marie-Hélène Miauton affirme ses positions personnelles sur certains points. Elle est notamment dubitative face à un chimérique « retour à la nature » et vante les mérites de la civilisation, depuis le néolithique où les hommes apprirent à cultiver vignes et plantes vivrières, à en conserver les produits dans la céramique, à élever des animaux. Sans nous les imposer, ni tomber dans des « bondieuseries », elle ne nie pas ses convictions protestantes, d’ailleurs non de naissance mais acquises au terme d’une réflexion personnelle. Cela sans négliger les joies terrestres comme celles des senteurs, des nourritures locales ou des simples bienfaits du bain de pied dans l’eau fraîche… Le livre regorge enfin de notations historiques ou géographiques, sans pédanterie, sur l’origine des mots ou expressions du langage courant, sur l’importance des voies économiques depuis l’Antiquité, sur l’architecture des paysages façonnés par l’homme, qu’il s’agisse des vignobles de Lavaux ou des rizières de la plaine du Pô, et j’en passe. Mais tout cela est raconté avec légèreté et un véritable talent littéraire, de surcroît illustré par un choix de belles photographies. En conclusion, on peut affirmer avec l’auteure : Ambulo ergo sum ! Je marche donc je suis.
Marie-Hélène Miauton, Chemins obliques. Sur la Via Francigena, de la Suisse à Rome à pied, Vevey
Éditions de L’Aire, 2022, 148 p. Un tome II est à paraître