C’est à lire – Il y a 50 ans, des « terroristes du dimanche »incendiaient un chalet
Dans « Un dimanche à la montagne », l’écrivain Daniel de Roulet revient sur son forfait…
Le 5 janvier 1975, le jeune ingénieur, devenu depuis un auteur connu, à qui l’on doit notamment un remarquable cycle de romans sur la bombe atomique, mettait le feu à la résidence d’Axel Springer (1912-1985), sur les hauts de Rougemont, dans le Pays-d’Enhaut. Il est vrai que ce magnat de la presse allemande, notamment à travers la feuille à scandales Bild Zeitung, avait attisé la haine contre l’activiste berlinois Rudi Dutschke, atteint en 1968 d’une balle dans la tête qui l’avait mortellement blessé. En revanche, il n’était nullement le nazi que détestait la gauche européenne ! En 2006, Daniel de Roulet révélait que sa propre identité était celle de l’auteur de l’incendie. Avec la complicité de son amie d’alors, décédée il y a vingt ans, et dont on ne connaîtra pas l’identité. Grâce à un portrait-robot très précis de ladite amie, établi par des randonneurs qui avaient croisé le couple, la Police fédérale aurait pu l’arrêter très rapidement. Mais elle était si persuadée que les auteurs ne pouvaient être qu’Allemands (un Suisse incendier un chalet, rêve de tout Helvète, quelle horreur !) que le dossier avait été immédiatement transmis à la République fédérale… Il faut relever que le crime n’avait causé aucune victime, les véritables auteurs s’étant assurés que le chalet était vide. Sa révélation en 2006 avait provoqué intérêt et scandale. Cela dit, les faits étaient prescrits depuis longtemps.
Daniel de Roulet revient aujourd’hui sur ces faits, de manière plus distanciée et en exprimant des regrets. Le récit de l’aventure de ces terroristes amateurs est assez amusant en soi, si l’on peut s’exprimer ainsi. Ils s’étaient grimés et perruqués comme dans un roman d’espionnage. Pour ne pas éveiller de soupçons, ils avaient logé dans le luxueux palace de Gstaad, puis avaient brassé la neige.
L’intérêt de la nouvelle version de cette histoire, complétée et enrichie, réside surtout dans la présentation de l’atmosphère lourde de l’époque. Une époque dont seuls les aîné-e-s de nos lecteurs et lectrices se souviennent. Le souvenir de Che Guevara, transformé en martyr et en icône, était bien présent. En 1968, l’Armée rouge avait envahi la Tchécoslovaquie, provoquant la naissance d’une extrême gauche, incarnée en Suisse par la Ligue marxiste révolutionnaire. Et peu auparavant, le Mai parisien avait soulevé enthousiasme et passions. En 1973, le sinistre général Pinochet prenait le pouvoir au Chili, instaurant un régime de tortionnaires. 1975 marquait la fin de l’horrible guerre du Vietnam, par la victoire complète du Nord communiste et la fuite par hélicoptères des derniers Américains à Saïgon. Et surtout, en Allemagne de l’Ouest et en Italie (Rote Armee Fraktion et Brigades rouges), il y avait d’authentiques terroristes d’extrême gauche qui ne répugnaient pas à assassiner. L’époque était donc aux grands espoirs « révolutionnaires », auxquels adhérait, bien que de manière pacifique, le jeune ingénieur de Roulet, aujourd’hui octogénaire, revenu depuis de ses illusions et de son manichéisme… Par ailleurs, il avoue que son forfait était largement inspiré par son amour passionnel de ce temps, ce qui est évidemment moins glorieux. Depuis lors, Daniel de Roulet s’est excusé de son acte auprès de la veuve d’Axel Springer… et il a versé ses droits d’auteur aux pompiers qu’il a dérangés en pleine nuit. On lira donc ce passionnant petit livre, non comme un « exploit » très discutable, mais comme un témoignage sur un temps de la guerre froide où, de part et d’autre, il y avait les « bons » et les « méchants ».
Daniel de Roulet, Un dimanche à la montagne
Libretto, 2024, 134 p