C’est à lire – Enquête sur un homme disparu et quête de soi
Le dernier roman historique de Raphaël Aubert
Fils du peintre et éminent graveur Pierre Aubert, l’auteur né en 1953 est surtout connu comme journaliste. Il a longtemps travaillé à Radio suisse romande. Il est l’auteur de plusieurs essais et romans.
Si au début il faut un minimum d’attention pour entrer dans ce livre, vu une certaine complexité de l’intrigue, le chassé-croisé entre des époques différentes et la multiplicité des personnages (dont la figure historique du chef d’orchestre Kurt Furt-wängler), le lecteur est vite récompensé par la richesse de l’ouvrage. Celui-ci est centré sur deux figures : celle du narrateur, dont nous ne saurons jamais le nom, et celle d’Antonin Tcherniakovski. Officier polonais, ce dernier, après la défaite de 1939, est interné en Suisse. Il y rencontre la mère du narrateur, l’institutrice Alberte. Par l’entremise du violon, leur passion commune, naît entre eux un amour.
Des décennies plus tard, le fils d’Alberte va partir à la recherche de « l’inconnu de son enfance », qui a connu une destinée assez étrange, puisqu’on le retrouvera dans l’armée soviétique. Disons-le tout de suite, il n’est pas le père du narrateur… ce serait trop facile. Le « mystère » sur ce point
est donc vite dissipé.
En revanche, le roman nous entraîne dans une passionnante enquête sur un personnage disparu, et une quête de soi, de son propre passé, par le narrateur. Les deux thèmes vont mener le lecteur de ville en ville. Raphaël Aubert a écrit de belles pages sur Rome. On notera aussi l’évocation de Berlin, avant et après la chute du Mur, ou encore celle du Printemps de Prague, puis de son écrasement en 1968. On reconnaît là l’expérience de l’ancien journaliste qui a beaucoup fréquenté l’Europe de l’Est. Mais le lecteur romand retrouve aussi des lieux qu’il connaît bien, tels Lausanne, ou Leysin à l’époque des sanatoriums. A certains moments, le roman prend l’aspect d’un thriller politico-historique, où intervient même la Stasi est-allemande. Il est par ailleurs tout habité par la musique, celle du violon et celles des mots. Enfin, il nous invite à méditer sur cette phrase du narrateur : « Il est vain de croire que l’on peut sans conséquence remettre à plus tard son rendez-vous avec soi-même. »
Raphaël Aubert, Qu’une seule âme sur la Terre, Paris
Buchet/Chastel , Libella , 2022, 221 p