C’est à lire – Bruno Halouia – Leur Seconde Guerre mondiale
Que faisaient les Françaises et les Français sous l’Occupation ?
Voici un livre très intéressant, et souvent émouvant, qui s’appuie sur d’innombrables sources. Il ne se contente pas de renvoyer dos à dos les « bons » (les résistants) et les « méchants » (les collabos). Il faut savoir en effet que la vie de la population s’est bornée la plupart du temps à la lutte contre la faim et le froid, pour un peu de pain et de charbon. Même si quelques profiteurs de guerre et enrichis par le marché noir se gobergeaient dans des restaurants de luxe aux côtés d’officiers allemands. Certes, il y eut des héros et de vils dénonciateurs. Mais entre ces deux extrêmes, on trouvait toute une gamme de comportements.
L’ouvrage s’articule de manière chronologique, en plusieurs séquences. La première concerne la « drôle de guerre », puis la débâcle de 1940. On voit les bidasses s’ennuyer sur la ligne Maginot. Henri Salvador est traité de « sale nègre » par son sergent. Puis, devant l’avancée des troupes allemandes, c’est la panique, tant des civils que de la plupart des soldats français qui battent en retraite dans le désordre. Le courage côtoie la lâcheté. L’allocution du vieux maréchal Pétain crée un soulagement collectif. Certains sont même heureux de voir se terminer « une guerre juive ». Il y a 1,6 millions de prisonniers de guerre dans les stalags. Beaucoup d’intellectuels, comme François Mitterrand et Jean-Paul Sartre, y découvrent la fraternité avec d’autres hommes de toutes conditions sociales. A Vichy s’instaure un régime fascisant et antisémite. Et la vie continue… Un certain nombre d’artistes, tels Maurice Chevalier ou Edith Piaf, qui se compromettra gravement avec des officiers allemands, poursuivent leur carrière. Un cas exceptionnel, celui de Jean Gabin, alors au faîte de sa gloire : il n’hésite pas à gagner les Etats-Unis, puis à s’engager dans la marine des Forces françaises libres, avant de continuer le combat comme commandant d’un char dans la fameuse 2e Division blindée du général Leclerc. Signalons aussi, parmi bien d’autres, connus ou anonymes, le rôle de l’abbé Pierre et de Joséphine Baker, grands résistants.
La collaboration intellectuelle, elle, est intense : les peintres Derain, Vlaminck, Dunoyer de Segonzac et d’autres ne résisteront pas à l’invitation à se rendre en Allemagne, notamment pour admirer les œuvres « viriles » d’Arno Breker, le sculpteur préféré de Hitler. Sans parler de la collaboration économique, encore plus grave : c’est pour cette raison que les usines Renault seront nationalisées après la Libération. Par rapport aux Juifs persécutés, on trouve le meilleur et le pire. A Paris, 200’000 visiteurs se pressent à la caricaturale exposition raciste « Le Juif et la France » ! Beaucoup s’enrichissent grâce à l’ « aryanisation » des entreprises juives. D’autres au contraire cachent des personnes pourchassées ou leur fabriquent de faux papiers : ainsi Marcel Mangel deviendra le célèbre mime Marcel Marceau. La famille de la chanteuse Barbara, comme de nombreuses autres, est dénoncée. Le père de Robert Badinter et celui de Jean Ferrat, d’origine juive, ainsi que la mère de Jean-Marie Lustiger, futur cardinal archevêque de Paris, ne reviendront pas des camps d’extermination, à l’instar de milliers de déportés. Ils garderont de ce traumatisme un souvenir indélébile. Après le débarquement américain de novembre 1942 en Afrique du Nord, de nombreux « indigènes » arabes s’engagent dans l’armée, pour libérer la France, qui pourtant les méprise et les opprime. Parmi eux, Ahmed Ben Bella s’illustre à la bataille du Monte Cassino. Il sera l’un des dirigeants du Front de Libération nationale algérien (FLN). En effet, il faut rappeler que, le jour même de la Victoire (le 8 mai 1945), les troupes françaises répriment avec férocité une insurrection algérienne. Après le Débarquement de Normandie, certains se trouvent soudain une âme de « résistants de la vingt-cinquième heure ». Ce sont souvent les mêmes qui se défouleront honteusement en tondant et en humiliant les jeunes femmes accusées de « collaboration horizontale » avec des soldats allemands. C’est aussi le temps de « l’épuration », qui frappe notamment l’actrice Arletty, l’écrivain Georges Simenon ou encore le dramaturge Sacha Guitry, sans parler des ultra-collaborationnistes Pierre Laval et Robert Brasillach, qui sont fusillés. Et pour les survivants du génocide des Juifs, commence à l’hôtel Lutétia, le temps de l’attente. Parmi eux, il n’y a presque aucun enfant déporté…
Ne nous faisons pas d’illusions : si la Suisse avait été occupée par la Wehrmacht, on aurait trouvé la même panoplie d’attitudes, de l’immonde à l’héroïsme, en passant par la résiliation passive !
Bruno Halouia, Leur Seconde Guerre mondiale, Paris
Buchet Chastel / Libella , 2020, 278 p