C’est à lire
Pierre-Yves Maillard rend un vibrant hommage à la classe ouvrière

On connaît bien Pierre-Yves Maillard comme ancien conseiller d’Etat de 2004 à 2019, où il fut très actif dans le domaine de la santé et du système hospitalier vaudois, aujourd’hui comme président combatif de l’Union syndicale suisse. Avec son livre, on découvre ses qualités d’écrivain.
La première partie, souvent émouvante, est la plus personnelle. « PYM » n’a jamais renié ses origines sociales modestes, qui l’ont ensuite mené à l’adhésion au Parti socialiste et à la défense des déshérités. Il nous parle de son grand-père maternel, né dans la Gruyère fribourgeoise, région où sévit encore dans l’entre-deux-guerres une grande pauvreté, confinant parfois à la misère. Et c’est une véritable fresque sociale qu’il peint dans son livre: exploitation des « valets de ferme », trop nombreuses naissances, femmes mortes en couches, ravages de la tuberculose, toute-puissance du parti démocrate-chrétien conservateur et clérical. L’ouvrage regorge de détails authentiques qui donnent sa tonalité au récit, tels que l’éloge du « pain rassis », qui serait soi-disant le meilleur, enfants dormant à plusieurs dans le même lit, sur des matelas où on avait entassé des feuilles mortes, et j’en passe… « Je suis de ce monde du travail », écrit l’auteur, tant du côté ouvrier, par son ascendance paternelle, que du côté paysan. Le jeune Pierre-Yves apprend d’ailleurs rapidement à conduire un tracteur. Sait-on encore aujourd’hui que les Fribourgeois émigrés dans le canton de Vaud protestant étaient l’objet d’une forme de xénophobie, se traduisant notamment par des plaisanteries sur leur saleté ? L’auteur nous met en garde contre le retour de la grande pauvreté en Suisse. Chacun a pu voir à Genève ces files interminables d’êtres humains dans le besoin, qui venaient chercher de la nourriture, et cela dans l’un des pays les plus riches du monde ! Le récit n’est pas misérabiliste, au contraire : « On est fier d’être ouvrier. Il y a une culture de la classe ouvrière. » Bien qu’ayant accédé à l’Université, Maillard ne croit « guère au potentiel révolutionnaire des sciences dites sociales. […] Même les grandes révolutions ne prennent leur réalité que par les changements progressifs ». Petite allusion aux groupuscules « gauchistes » qui prennent plus de temps à analyser la société qu’à la transformer…
Le livre renferme aussi des lueurs d’espoir. Il y a par exemple des facteurs de rapprochement social, comme le football, que Maillard pratique depuis des décennies et auquel il voue une véritable passion. Ce sport collectif constitue une leçon de vie et de camaraderie, ce que ne sont pas les portables et tablettes numériques en train de devenir une sorte de drogue.
La deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « Les combats », est tout aussi intéressante. Pierre-Yves Maillard y décrit, à l’aide d’exemples vivants, sa longue activité de secrétaire syndical de la FTMH. Il y évoque des fermetures scandaleuses d’entreprises bien portantes, et le licenciement collectif de salariés dont l’engagement professionnel avait été sans faille. Parmi les luttes ouvrières qu’il a accompagnées, citons celles qui concernèrent la Sapal, Veillon ou encore Novartis. L’ouvrage délivre une sorte de vademecum permettant de réussir une lutte ouvrière et syndicale. Et même s’il se veut « rouge », Maillard rend hommage à la diligence de ses collègues libéraux-radicaux au Conseil d’Etat Leuba et Broulis pour sauver des entreprises vaudoises. En revanche, le lecteur n’apprendra pratiquement rien sur son action de Maillard. Sans doute est-il encore soumis à un certain devoir de réserve.
Le livre se clôt sur deux chapitres particulièrement vivants, dont l’un, assez drôle, relate le match de foot entre des jeunes filles de la ville ouvrière de Renens et l’équipe des garçons du Rosey, l’établissement select réservé aux rejetons de l’élite sociale, qui vont subir une belle leçon de respect et d’humilité de la part de leur entraîneur ! Enfin, on découvrira à la fin du livre le sens de son titre.
Quelles que soient les convictions politiques de chacun, on trouvera beaucoup de plaisir, d’intérêt et d’enseignements à la lecture de cet opus narratif d’un homme engagé.
Pierre-Yves Maillard, Un vélo pour Noël. Petites histoires
de classe ouvrière, Vevey, Editions de L’Aire, 2022, 209 p.