Arts vivants – Vous voulez un Morax ? Oh, juste quatre doigts !
Interview de Jean Chollet, metteur en scène de « Les Quatre Doigts et le pouce »
Au milieu des Molière, Rostand, Marivaux ou autres Ionesco, trop rares sont encore les noms suisses parmi les dramaturges consacrés du théâtre francophone. René Morax, en plus d’être à l’origine de cette institution du théâtre suisse qu’est le Théâtre du Jorat, est de ces quelques auteurs romands qui, aux côtés de Fernand Chavannes, de Jacques Probst ou d’Agota Kristof, ont su participer à l’histoire du théâtre loin des sirènes parisiennes. A l’occasion des 150 ans de sa naissance, nous avons rencontré Jean Chollet, qui signe la mise en scène d’une des seules comédies de Morax, Les Quatre doigts et le pouce. Interview.
Jean Chollet, le nom de René Morax ne résonne pas à l’oreille de tous. Pouvez-vous nous le présenter en quelques mots et nous dire pourquoi fêter ses 150 ans a de l’importance à vos yeux ?
René Morax a été un des premiers à considérer que, dans le canton de Vaud ou en Suisse romande de manière plus générale, on n’était pas définitivement abonnés à des spectacles français en tournée, mais qu’on pouvait créer un répertoire théâtral et faire travailler des gens d’ici. Morax s’est beaucoup battu là-dessus. Il rêvait de retrouver un théâtre simple. Il voulait faire un théâtre où on ne se montrait pas, où l’entracte n’était pas plus important que la pièce. On venait s’asseoir sur des bancs en bois, sans velours, sans dorures, sans cocktail, mais avec du vrai théâtre. Créer un théâtre à Mézières, c’était une affaire extrêmement délicate. On le doit à Morax, à sa créativité, à sa passion pour le théâtre, pour l’écriture et pour les comédiens.
Parmi tout le répertoire de Morax, votre choix s’est porté sur Les quatre doigts et le pouce. Pourquoi une comédie et pourquoi celle-ci ?
Si j’avais un grand théâtre, j’aurais fait une nouvelle version du Roi David ou de La Servante d’Evolène. Il se trouve que je dirige un théâtre de poche et que la seule pièce du répertoire de Morax qui rentre dans un théâtre de poche, c’est Les Quatre Doigts et le pouce. Il y a très peu de comédies dans le répertoire de Morax. Cette pièce n’aurait jamais pu être jouée au Théâtre du Jorat. Pour lui, c’était un lieu pour réfléchir, pour pleurer, mais en tous cas pas pour rire. Donc, parce que ce texte a moins été joué dans les grands théâtre, parce qu’il correspond à un théâtre de poche, comme c’est en plus une pièce délicieuse, je me suis dit c’était la seule possibilité de lui rendre hommage.
Est-ce délectable pour un metteur en scène de créer une « pièce dans la pièce », d’apprendre à ses acteurs à « mal jouer » ?
Ce qui est vraiment un plaisir que je ne boude pas, c’est qu’il n’y a rien où l’on se dit « c’est too much », tout est possible ! On se dit que c’est énorme, que c’est trop gros et finalement c’est justement parce que c’est complètement énorme que ça fonctionne. Et ça, c’est un plaisir assez délicieux.
A qui s’adresse aujourd’hui un texte comme Les Quatre doigts et le pouce ?
J’ai envie de dire que je mets d’abord en scène pour le public du Bateau-Lune. Ce public est situé dans une zone où il n’y a pas de théâtre. C’est un lieu où la démographie croît de manière spectaculaire. Ce que j’essaie dans ce théâtre, c’est d’ouvrir un répertoire suffisamment large pour ne pas accueillir que les gens qui sont des « spectateurs de théâtre ». J’essaie plutôt de faire un théâtre populaire.
Les programmations actuelles misent beaucoup sur la nouveauté. Quelle est pour vous la place du patrimoine dans le paysage théâtral ?
C’est intéressant parce que je constate qu’en musique, on fait beaucoup plus souvent de grands classiques et ça ne choque pas vraiment. On refait un Requiem, on refait un grand Verdi, on reprend une énième fois Le Barbier de Séville. Au théâtre, je ne suis pas sûr qu’on ait cela. On l’a un peu à travers quelques grands Molière, mais c’est déjà plus difficile avec des grandes tragédies de Racine ou de Corneille. On a donc tendance, au théâtre, à privilégier des créations contemporaines, mais si vous prenez Edmond de Michalik, on vous raconte un morceau de l’histoire du théâtre et c’est une création contemporaine. Je me dis que permettre à un public non seulement de découvrir mais de redécouvrir, ça me paraît essentiel.
Les Quatre Doigts et le pouce
A la grande salle de Carouge, les 3 et 5 mars
Au Bateau-Lune (Cheseaux-sur-Lausanne), du 8 au 24 avril
Au Casino de Morges, le 27 avril