A la redécouverte du peintre vaudois Edouard Morerod
A l’Espace Graffenried d’Aigle jusqu’au 7 septembre
Pierre Jeanneret. |. En septembre 2018, la ville d’Aigle a inauguré un nouveau lieu culturel, l’Espace Graffenried, dévolu à des expositions temporaires. Le nom vient de Nicolas de Graffenried, bourgeois de Berne, qui fut gouverneur d’Aigle en 1509 et découvrit la mine de sel de Panex. On le voit, les Vaudois ne sont pas rancuniers envers leurs anciens maîtres! Cet Espace est situé dans le bâtiment de l’ancien Hôtel de Ville, construit au XVIe siècle, et dont l’intérieur a été rénové de manière volontairement très sobre et épurée. L’exposition actuelle est consacrée à Edouard Morerod (1879-1919), un artiste né à Aigle. Très jeune, il perd ses parents. Il sera alors ballotté d’une pension à l’autre. Le mauvais souvenir de ces débuts difficiles explique probablement pourquoi il fuira la Suisse autant qu’il le pourra. Il quêtera toujours un ailleurs, à travers ses nombreux voyages. Mais la tuberculose l’obligera, dès 1914, à se faire soigner à Leysin. Et c’est un peu à contrecœur que, par obligation, il réalisera ses œuvres «helvétiques». L’exposition montre notamment une belle vue du Chamossaire, et des portraits de paysans ou paysannes qui font penser aux Valaisan-ne-s d’Edouard Vallet. Mais ce n’est pas le plus original dans sa production. A Paris, utilisant le fusain, le crayon ou le pastel, il croque les élégantes de la capitale française. C’est cependant en Espagne et au Maroc qu’il réalise le meilleur de son œuvre. Il est surtout un excellent portraitiste. En Espagne, il peint avec force une Femme âgée dans un style proche de celui de Goya. Son modèle préféré est Pastora, dont il fera quelques beaux portraits. On le surnomme le «peintre des gitans». On admirera aussi ses représentations de spectacles de flamenco, où il saisit bien le mouvement. Il fait deux séjours à Tanger, en 1904-1905 et en 1911. Là aussi, il réalise des centaines de portraits, dont celui d’un vieux Juif marocain. Mais son œuvre majeure est l’extraordinaire toile Vendeuses de pain à Tanger, où un groupe de femmes sous leurs voiles, de nuit, est éclairé d’en bas par des lanternes. Cependant, Morerod, qui aime dessiner des visages, se plaint de ne pouvoir guère le faire au Maroc, où les femmes sont à l’époque toutes voilées… Hélas, cette mode orientaliste qui plaît au public français ne séduit pas les Vaudois, alors très conservateurs, et il doit se rabattre, comme on l’a déjà dit, sur des sujets suisses. Cette exposition rend justice à un artiste trop oublié, à l’occasion du centième anniversaire de sa mort. Elle permet aussi de prendre connaissance de l’Espace Graffenried qui enrichit culturellement le Chablais vaudois. Une visite qui peut fort bien se conjuguer avec celle du Musée de la vigne et du vin, dans le château d’Aigle, et une petite balade dans les rues du Vieux Aigle méconnu.
«Edouard Morerod, d’ici et d’ailleurs»,Espace Graffenried, Aigle, jusqu’au 7 septembre 2019.