Lutry – L’Esprit a frappé et va encore frapper
Interview Alain Nitchaeff, fondateur de L’Esprit Frappeur
Niché (ou faudrait-il dire enterré ?) sous la Villa Mégroz en plein centre de Lutry, L’Esprit Frappeur est un lieu plein de charme. Nous y retrouvons Alain Nitchaeff, maître des lieux depuis 25 ans, à peine sorti d’un récital-hommage organisé à la Salle du Grand-Pont de Lutry. Rencontre avec celui qui tient les rênes de ce café-théâtre où s’invitent chanteurs à texte et groupes de musiques du monde.
Alain Nitchaeff, quel regard portez-vous sur ce quart de siècle de L’Esprit Frappeur ?
C’est un rêve, c’est une chose à laquelle je ne m’attendais pas. J’ai appris un samedi de 1997, par hasard, que le lieu s’était libéré. Le lundi, j’ai téléphoné à la commune, j’ai eu le secrétaire communal qui m’a dit : « Ça tombe bien, on ne sait pas quoi en faire. » Quelques jours plus tard, j’avais les clés, j’ai tout repeint et tout transformé pour en faire un café-théâtre… Je ne savais pas combien de temps ça durerait… Les premières années, il y avait surtout de l’impro.
En 2000, je suis parti vraiment sur la programmation « chanson française ». Je dirais que c’est une aventure absolument incroyable à laquelle je suis très attaché. Je suis entouré par un comité fabuleux, des gens extraordinaires. Je peux vraiment déléguer et m’occuper principalement de la direction artistique du lieu. J’ai quand même 72 ans, donc je me pose un petit peu.
Plus de 500 artistes sont passés par la scène de L’Esprit Frappeur en 25 ans. Quels sont pour vous les souvenirs les plus mémorables ?
Il y a le souvenir de Graeme Allwright, la dernière fois qu’il est venu ici. A l’époque, on jouait quatre soirs de suite. Le jeudi, il joue. Le vendredi, un de ses musiciens m’appelle en me disant « Viens vite, il y a un problème. » Je vais à l’hôtel et je retrouve Graeme allongé dans son lit en toute petite forme. Il me dit « Je ne peux pas continuer ». Son poignet avait doublé de volume, il ne pouvait plus jouer de guitare. J’ai envoyé un mail aux 360 personnes qui avaient leurs billets. Mais c’était trop tard. Le soir même, il y avait déjà 70, 80 personnes à l’entrée. Je leur ai expliqué ce qui se passait. On leur a offert boissons et nourriture. Tout le monde s’est installé et son contrebassiste, Dina Rakotomanga, m’a dit « Mais Alain, on a un DVD ! » On a descendu l’écran et hop, on a envoyé le DVD. Les gens chantaient et applaudissaient entre les morceaux. C’était une soirée extraordinaire.
L’autre souvenir vraiment incroyable, c’est Allain Leprest. La première fois qu’il est venu ici, j’ai deux spectateurs qui sont là avec un peu d’avance et tout d’un coup, Leprest surgit des coulisses, complètement nu. Et il chante « Nu, j’ai vécu nu ». On était sidéré. Et Jean-Louis Beydon, son pianiste, voyant ça, a enlevé son T-shirt, il avait l’air d’être nu aussi. C’était un moment incroyable.
« L’Esprit Frappeur », voilà un nom peu banal ! En quoi ce lieu est-il spirituel ? En quoi est-il frappant ?
Il est spirituel parce que le public qui vient ici sent qu’il y a des âmes, il sent qu’il y a des vibrations. J’ai vu la villa je me suis dit, waouh, c’est une maison hantée ! Et puis, du point de vue… frappant, je crois que les gens sont très attachés à ce lieu, et puis que c’est un esprit de famille. Mon objectif, ce n’est pas le commerce. C’est vraiment l’âme du lieu, le contact avec le public. Pour nous, ce qui est important, c’est l’accueil. Le côté frappant du lieu, c’est que je connais le prénom et le nom de la plupart des gens qui viennent ici. Les gens sont frappés par le côté famille, par le côté proximité aussi. Le côté très, très proche des artistes.
En octobre a eu lieu un spectacle commémoratif pour fêter ce quart de siècle. Comment avez-vous vécu ce moment ?
Ça a été un moment plein d’émotions. J’étais au bord des larmes. Particulièrement sur une chanson, je ne sais pas pourquoi. De Nilda Fernandez. Nos fiançailles. Nilda, il est venu deux, trois fois. Et j’adorais ce bonhomme. Cette chanson chantée par Pascal Rinaldi, à chaque fois, j’étais… Et puis, il y a eu aussi le dernier jour. Les bénévoles nous ont fait la surprise. A un moment donné, je danse avec Laurence Bisang sur une chanson de Graeme Allwright et tout d’un coup, il y a tous les bénévoles qui étaient devant la scène, en bas. Et qui se sont mis à danser aussi. J’ai eu beaucoup, beaucoup d’émotions. Un immense bravo à tous ceux qui ont participé, qui ont œuvré pour que ça fonctionne. Et aux artistes aussi ! Parce que là, on a vraiment eu des professionnels.
Si on se projette dans 25 ans, que sera devenu L’Esprit Frappeur en 2050 ?
En 2050, j’aurai 97 ans. Je pense que je serai toujours là, bon pied, bon œil, puisque je vise les 100 ans. L’enthousiasme, en tout cas pour moi, demeure. L’objectif, à moyen terme, c’est de déléguer à des gens qui sont vraiment compétents.
L’idée, ce n’est pas de dire : « Ecoutez, débrouillez-vous ! ». J’ai deux-trois pistes de gens qui me sont proches et qui pourraient prendre le relais s’il m’arrive quelque chose ou si, à un moment donné, je n’ai plus la force.






