Découvertes littéraires à Oron
En cette rentrée littéraire, difficile de faire son choix parmi la multitude de nouveautés. Pour nous aider à y voir plus clair et à dénicher la perle rare, la Librairie du Midi à Oron-la-Ville présente ses coups de cœur.

Texte et photos Diane Zinsel | Assis à la table colorée située dans le vestibule de la Librairie du Midi, Nicolas Sandmeier, son gérant, dévoile sa pile de recommandations dans laquelle figure A la table des loups de Adam Rapp, paru aux Editions du Seuil. « C’est, jusqu’ici, le meilleur roman américain que j’ai lu cette année », s’enthousiasme le libraire. Si l’auteur est prolifique, il s’agit de son premier roman traduit en français. A la table des loups est une saga qui raconte le cheminement d’une famille ordinaire sur plus de cinquante ans et trois générations dans une Amérique où la violence n’est jamais loin. La narration est portée par la grande sœur, une infirmière, qui a croisé de près un tueur de masse et un tueur en série à trente ans d’intervalle. « Les personnages sont consistants et l’histoire, finement menée, est soutenue par une analyse historique et sociale des Etats-Unis ».
Nicolas a aussi retenu Perpétuité de Guillaume Poix (Gallimard), « un auteur français qui articule ses romans autour d’une problématique économique ou sociale tout en l’enveloppant dans un récit journalistique extrêmement bien écrit ». Le texte nous plonge dans le milieu carcéral, plus précisément dans le quotidien des surveillants pénitentiaires pour donner à voir leur fatigue, la violence, leur solitude. « Il parvient à nous montrer l’envers du décor sans jugement, sans tomber dans le misérabilisme tout en nous tenant par la main grâce au personnage principal », relève le libraire qui n’hésite pas à recommander aussi ses deux premiers romans Les fils conducteurs (2017), qui décrit le problème des décharges de matériel informatique et électronique à Accra au Ghana et Là d’où je viens a disparu (2020), un roman choral sur l’exil.
Le gérant a également été conquis par Le cri du barbeau de Marius Daniel Popescu, auteur et poète vaudois « C’est un roman magnifique qui entremêle les souvenirs de la vie de l’auteur en Roumanie et son quotidien en Suisse, où il gagne sa vie en conduisant des bus », explique Nicolas, encore habité par certaines « scènes incroyables ». Ce roman, publié chez Corti, s’inscrit dans la continuité de La Symphonie du loup (2007) et Les Couleurs de l’hirondelle (2012).
Violences de classe
Sa collègue Stéphanie a, elle, choisi deux romans qui décortiquent et mettent en lumière les fractures de la société française. Elle pointe d’abord Collision de Paul Gasnier. Dans cet ouvrage édité par Gallimard, l’auteur explore un drame qui a touché sa famille une dizaine d’années plus tôt : le décès de sa mère, mortellement percutée en plein centre-ville de Lyon par un jeune homme en moto-cross qui faisait du rodéo urbain. Il enquête à la fois sur les trajectoires de ces deux familles, que rien ne prédestinait à se rencontrer, mais aussi sur les récupérations politiques de ce genre de tragédies, explique Stéphanie.
La libraire d’Oron conseille aussi La Bonne Mère de Mathilda di Matteo, paru aux éditions l’Iconoclaste. On y suit Clara, une jeune fille d’un milieu très populaire à Marseille, qui fait des études supérieures et qui se met en couple avec Raphaël, issu de la grande bourgeoise parisienne. Le roman se déroule dans un Marseille « très vivant, réaliste et loin des clichés » et raconte la rencontre de la mère de Clara avec le nouveau milieu social de sa fille et son impact sur leur relation, sur fond de confrontation de langues et violence de classe.
Silences et non-dits
Adrien Madenspacher s’est laissé séduire par deux romans qui se déroulent en milieu rural et qui partagent une langue épurée. Il retient ainsi Haute-Folie d’Antoine Wauters. Ce roman paru chez Gallimard raconte la vie de Josef, un enfant dont la naissance est entourée de drames que personne ne lui rapporte. Il grandit entouré d’une chape de plomb qui finit par se fissurer. « La langue utilisée est hallucinante, à la fois épurée sans être minimaliste, elle va à l’essentiel pour décrire des scènes avec beaucoup de réalisme, loin des clichés », s’enthousiasme le libraire.
Celui-ci recommande aussi chaudement Rouille de l’autrice biennoise Camille Leyvraz, publié aux Editions La Veilleuse. On y suit une jeune femme qui vit à la ferme avec sa famille. L’histoire commence à un moment difficile de leur vie où pointent les silences et les non-dits. « Là aussi, l’ambiance particulière est portée par une écriture brute, laconique, qui se réduit à l’essentiel. Un roman à ne pas rater », conclut Adrien.
En bande, c’est chouette aussi
La bande dessinée aussi a fait sa rentrée. Le gérant de la Librairie du Midi a été conquis par Le Problème avec les fantômes de Mirion Malle (Glénat). « J’ai un vrai coup de cœur pour le travail de cette artiste. Le dessin est de toute beauté et le texte vraiment poétique », ajoute-t-il. Les thématiques qu’elle aborde – la dépression, l’emprise amoureuse ou encore la colère – sont traitées avec beaucoup de finesse et une grande intelligence. De son côté, Adrien est un fervent admirateur de Mathieu Bablet dont le dernier tome, Silent Jenny (Rue de Sèvres), doit sortir à la mi-octobre. « Comme
ces deux derniers albums, celui-ci se situe dans un futur lointain, après une catastrophe écologique majeure, où les abeilles n’existent plus.
L’idée lui est venue après avoir vu un reportage sur la Chine et les Etats-Unis qui développent des moyens pour polliniser les plantes, plutôt
que d’essayer de trouver des solutions pour les sauver », précise Adrien.
Comment les librairies décident-elles des livres qu’elles vendent ?
Tout au long de l’année, la petite équipe qui gère la Librairie du Midi s’informe dans les médias, suit l’actualité de ses auteurs chouchous et rencontre des représentants des différentes maisons d’édition afin de sélectionner ce qui pourrait plaire à sa clientèle. Lors de la rentrée, la charge de travail est un peu plus intense, car elle doit anticiper ce qui pourrait lui être demandé. « Parfois, c’est facile », souligne le gérant Nicolas, pointant l’ultra-médiatisation de certains livres, comme Kolkhoze d’Emmanuel Carrère, en lice pour le Goncourt de cette année et qui lui a été beaucoup demandé. D’autres fois, c’est la surprise. « On est, par exemple, étonné par la contre-performance du dernier Dan Brown, alors que la publication, en 2003, de son best-seller Da Vinci Code avait littéralement drainé des foules », poursuit-il.
Dans la librairie, deux tables sont spécifiquement dévolues à la rentrée. Si un client ou une cliente demande un titre qu’elle n’a pas en stock, elle peut se le procurer dans les deux jours. Mais elle ne rate souvent pas grand-chose, car la librairie s’occupe des commandes de plusieurs bibliothèques, dont celle de la BCU de la Riponne, ce qui lui permet d’avoir une bonne vue d’ensemble des demandes avant même qu’elles ne soient formulées ! « La rentrée littéraire est un moment excitant avec la parution de nombreuses nouveautés, mais elle a beaucoup moins de répercussions sur les chiffres qu’il y a encore une vingtaine d’années et se situe loin derrière Noël en termes financiers », explique aussi Nicolas. Avant de noter : « Cela n’empêche pas nos chers éditeurs de continuer à publier beaucoup trop à cette période ».