Mézières, Théâtre du Jorat – Le Freak, c’est chic
Les Sœurs Hilton de Christian Hecq et Valérie Lesort


Après avoir conquis le public de la Grange Sublime avec Vingt mille lieues sous les Mers, Valérie Lesort et Christian Hecq sont de retour à Mézières avec Les Sœurs Hilton, dernière de leur production qui revient sur l’histoire des freak shows américains. A voir au Théâtre du Jorat les 26 et 27 septembre.
Retournons près d’un siècle en arrière. Début des années 30, le cinéma, discipline encore jeune, est en plein essor dans cet endroit qui commence à être connu sous le nom d’Hollywood. Voilà peu de temps qu’il est devenu parlant et le Code Hayes, qui réglemente les bonnes mœurs acceptables à l’écran, peine encore à s’imposer dans cette industrie qui revendique fièrement sa liberté. Sur les toiles américaines, défile ainsi bon nombre d’œuvres plus osées les unes que les autres, œuvres qui osent chaque jour mettre un peu plus à mal le légendaire puritanisme américain.
C’est dans ce maelström artistique que Tod Browning, déjà connu pour avoir réalisé la première adaptation cinématographique parlante de Dracula, décide de mener à bien un projet d’un genre nouveau. Freaks, qu’un traducteur français mal inspiré décidera de transposer en La Monstrueuse Parade dans la langue de Molière. Il s’agira là d’un échec tel que la carrière de Browning, jusqu’ici particulièrement prometteuse, ne s’en relèvera jamais vraiment.
La raison de ce déchaînement critique et spectatoriel ? Pour la première fois, Browning s’attaque à un sujet qui provoque immédiatement auprès du public un mélange de dégoût et de curiosité malsaine : ceux que l’on appelait les « monstres de foire ». Car si ce temps paraît bien loin, les cirques et zoos humains ont perduré jusque dans les années 50 aux Etats-Unis. On y retrouvait des hommes et des femmes au physique sortant de la norme, qu’ils soient nains, hommes-troncs ou femmes à barbe. Une culture du bizarre qui dérange autant qu’elle intrigue.
C’est dans ce monde étrange que nous emmènent Christian Hecq et Valérie Lesort dans
Les Sœurs Hilton, plus particulièrement à travers la vie des sœurs siamoises Daisy et Violet Hilton, elles-mêmes actrices du film de Tod Browing. Nées à Brighton d’une mère célibataire qui les rejette, elles vivront toute leur enfance sous le contrôle de la sage-femme qui les a mis au monde et qui, ayant flairé le bon filon, commencera très tôt à faire payer les curieux qui auraient envie de voir ces curiosités humaines. Une vie qui les mènera jusqu’aux Etats-Unis où leur particularité physique attirera les foules.
Peut-on faire d’un être humain un simple produit de divertissement sous la seule condition de sa différence ? C’est toute la question que soulève cet intriguant spectacle aux allures colorées et dansantes. Le faste des années folles semble de fait en guider l’esthétique. Ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard si le duo à la tête de ce projet a décidé d’y adjoindre chants et chorégraphies, proposant à leur public une immersion totale dans cette ambiance si particulière d’un cirque à l’américaine qui savait curieusement allier esthétisme et goût douteux.
Les noms de Christian Hecq et de Valérie Lesort rappelleront sans doute quelques souvenirs aux fidèles de la Grange Sublime. De fait, le duo franco-belge était déjà à la manœuvre de Vingt mille lieues sous les Mers, passé par Mézières et salué pour ses indéniables qualités esthétiques. Entourés d’une équipe comme on n’en voit rarement dans les productions théâtrales contemporaines, les deux comparses seront également tous deux sur scène aux côtés de Rodolphe Poulain, Céline Milliat-Baumgartner et Renaud Crols.
Questionner l’autre dans sa différence comme le fait le binôme Hecq-Lesort semble d’une pertinence et d’une actualité certaine. Mais probablement l’interrogation est-elle plus large encore. Car analyser les freaks shows, c’est aussi chercher à comprendre ce qui nous attire dans le bizarre, dans l’étrange, dans l’inconnu, parfois dans le morbide. De ce qui peut créer en nous, l’espace d’un instant des pulsions voyeuristes qui nous poussent à trouver de l’intriguant et de l’excitant dans ce qui en même temps nous rebute.