Mézières, Théâtre du Jorat – Pour toujours. Un théâtre du peuple
Week-end inaugural + Optraken


Face au journaliste feignant qui ne voudrait pas se fouler un dimanche soir au moment de rendre son article sur l’inauguration du Théâtre du Jorat après sa rénovation, une solution toute simple s’offrirait. C’est devenu une lapalissade en quelques mois seulement, mais un prompt bien rédigé sur ChatGPT en rendrait facilement les contours les plus grossiers. Essayons donc :
« Ce samedi 6 septembre 2025, le Théâtre du Jorat à Mézières a vécu un moment historique avec son inauguration officielle, marquant la fin de 19 mois de travaux de rénovation. Le chantier, d’un montant de 11 millions de francs, a permis de moderniser ce lieu emblématique tout en respectant son architecture unique en bois.
La cérémonie s’est déroulée en présence de la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, venue saluer la revitalisation d’un patrimoine culturel vivant, ainsi que de Nuria Gorrite, cheffe du Département de la culture du canton de Vaud, qui a souligné l’engagement des collectivités publiques et des mécènes dans ce projet ambitieux. » (ChatGPT)
Soit. On est plus proche d’une dépêche du 20 Minutes que du prix Pullitzer, mais l’essentiel semble dit, non ? L’essentiel ?
Quiconque a mis les pieds à Mézières samedi dernier se devrait de bondir à la lecture de cette dernière phrase. Car non, autour de la Grange Sublime, l’essentiel était ailleurs ce week-end. Non pas que la présence d’une conseillère fédérale et de nombreux autres élus communaux, cantonaux ou nationaux soit de l’ordre de l’anecdotique, mais il paraît évident que l’atmo-sphère de fête qui régnait sur le Jorat n’était pas de leur seule responsabilité.

Oui, cette fête, c’était celle de toute une région, de tout un canton pour un élément essentiel de son patrimoine. Cette majestueuse grange, rénovée avec tout le soin nécessaire à porter à un monument historique, se dresse plus fièrement encore qu’avant. Le soleil est au rendez-vous, le public aussi. Et c’est dans cette heureuse hétérogénéité qui mêle en un même lieu des membres de sociétés locales, des artistes du monde de la scène, des personnalités politiques citées plus haut ou de simples curieux de Mézières et d’ailleurs que devient soudain claire l’idée d’un « théâtre du peuple » si chère à René Morax. De fait, outre son architecture unique, s’il est une chose qui définit le Théâtre du Jorat, c’est bien sa capacité à rassembler un public d’une diversité impressionnante. Et de faire se rencontrer en un même lieu patrons et employés, campagnards et citadins, jeunes et moins jeunes, agriculteurs et conseillers fédéraux.
Mais que serait un lieu comme celui-ci sans spectacle ? Après une journée dédiée aux visites des coulisses de ce lieu magique, après un moment de convivialité autour d’un verre et de quelques flûtes, après une partie officielle menée par le président du Conseil de Fondation Christian Ramuz, place au show, et quel show !

C’est au Galactick Ensemble qu’Ariane Moret et ses équipes avaient confié la lourde tâche d’enflammer la soirée. Et c’est peu dire que la troupe venue d’Île-de-France a fait fière figure, dans la droite veine de la programmation à laquelle nous a habitué la direction depuis plusieurs années. Optraken (tire-bouchon en norvégien) a ainsi réussi le parfait alliage entre qualité de performance et portée sur un large public. Six artistes circassiens y enchaînent cascades et gags visuels une heure durant, créant dans le public tant de secousses de rires que de sursauts de frayeur devant ces acrobaties réalisées au millimètre près.
On reprend. Le temps de la représentation, une posture d’enfant devant un spectacle dont les myriades de subtilités dépassent parfois notre raisonnement logique. On réagit au moindre stimulus visuel, qu’il soit absurde, effrayant, philosophique. Derrière, dans la salle, on entend quelques gamins rire à gorge déployée, alors on s’y prend aussi soudain. Une heure durant, on voit ce que devrait être le théâtre : une fête, un grand raout collectif où se mêlent émotions, réflexion et plaisir, moment partagé simultanément par un millier de spectateurs et de spectatrices.
Et au moment où tout semble partir en tous sens, un message se voit petit à petit écrit à la craie sur de grands tableaux noirs : « L’instant de la décision est une folie ». Comme un petit clin d’œil à toutes les étapes par lesquelles le Conseil de Fondation du théâtre aura dû passer au moment d’entreprendre ces travaux. Toujours est-il que ces quelques moments de folie font qu’aujourd’hui et pour de nombreuses années encore, la Grange Sublime reste debout, fier symbole d’union, de convivialité et de patrimoine et réserve à tous ses futurs visiteurs et spectateurs une atmosphère qu’aucune IA ne saura jamais décrire.