La chronique du petit entrepreneur
Pourquoi devons-nous engager des apprentis ?

Lucien Meylan | M’a demandé une dame aux prémices de la rentrée scolaire vaudoise. « Ça coûte du temps, de l’argent et en plus, la plupart quitte l’entreprise après l’obtention de leur CFC » a-t-elle ajouté avec un soupçon d’ironie dans la voix. Loin de moi l’idée de la contredire car ses arguments n’étaient pas faux, dans l’absolu. Pourtant, selon moi, elle se trompait d’approche et surtout, elle était mal tombée avec moi, en ce qui concerne l’importance de la formation
professionnelle dans notre canton. Je lui ai souri avec calme, comme impatient de lui expliquer la vie.
« Chère Madame, je pense que vous confondez économie et éducation, ou plutôt, vous n’avez sans doute pas compris pourquoi elles étaient étroitement liées. De plus, pardonnez-moi cette allégation, mais il me semble que vous mélangez intérêts personnels et contribution à l’économie locale, voire nationale. En effet, lorsqu’une collaboratrice de seulement 32 ans arrive dans votre entreprise avec déjà plus de quinze ans d’expérience sur le marché et un diplôme fédéral, à votre avis, qui l’a formée ? Probablement un concurrent. Et selon vous, est-ce que ce même concurrent a eu l’étroitesse d’esprit de raisonner comme vous à l’époque ?
Certainement pas.
Nous ne formons pas des apprenti·es CFC pour qu’ils/elles soient rentables pendant leur formation. Nous formons des apprenti·es car c’est une nécessité. Un besoin économique. Un devoir moral. Si nous n’accueillons pas les jeunes qui ne souhaitent pas poursuivre la voie académique, car soyons honnêtes, il s’agit désormais plus de volonté que de réelles capacités intellectuelles supérieures, qui le fera ? Si vous n’aviez pas éduqué vos enfants, qui l’aurait fait ? La comparaison est un peu audacieuse mais l’essence est la même. Il est nécessaire de former des apprenti·es dans notre pays et c’est la
responsabilité des entreprises que de s’engager.
En effet, statistiquement, un·e apprenti·e ne rapporte rien à l’entreprise formatrice mais il/elle ne lui coûte rien non plus. Tout simplement parce que dès sa deuxième ou troisième année, pour les métiers plus techniques, l’apprenti·e devient indépendant·e, autonome et il/elle est capable de réaliser un travail de qualité, avec sérieux et rigueur. Parce que oui Madame, un·e jeune de 17 ans est tout aussi capable et motivé·e qu’un·e collègue de 40 ans. Mais je ne vous apprends rien. Pourtant, la situation actuelle est critique : certains apprentissages ne séduisent plus, ou moins. Mais rappelons quand même que chaque acteur sur le marché est libre de rendre l’expérience du CFC plus séduisante.
Pourquoi ne donnons-nous pas plus de semaines de vacances aux apprenti·es ? Pourquoi ne proposons-nous pas un salaire plus attractif ? Pourquoi n’offrons-nous pas des perspectives de développement et de formation continue dès le départ ? Depuis toujours, la balle est dans notre camp. Alors que s’est-il passé ? Indéniablement, nous avons loupé quelques trains digitaux. Cela fait plus de quinze ans qu’Instagram existe alors pourquoi avons-nous attendu aussi longtemps pour nous intéresser à ce média ? Mais j’ai une bonne nouvelle, nous savons désormais que les jeunes sont sur TikTok et Snapchat. Allons-nous à nouveau attendre en gare ?
Nous les Vaudois·es, nous sommes très fort·es pour nous qualifier de résilient·es lorsqu’il s’agit de défis économiques. Et si, pour une fois, nous étions audacieux·ses, « plus culoté·es » comme dit mon père à mon neveu lorsqu’il s’agit de dribbler sur un terrain de football. Et si nous nous rappelions, toujours et encore, que le monde entier nous envie pour notre système de formation duale. Des Français aux Américains, toutes et tous se languissent d’avoir autant de jeunes qui arrivent sur le marché du travail à seulement 25 ans, comme en Suisse. L’apprentissage fait partie de notre ADN, de notre patrimoine helvétique et surtout, de nos forces majeures sur le plan économique.
Serait-il l’heure d’imposer un quota d’apprenti·es aux grandes multinationales ou d’expliquer aux nouveaux cadres et managers européens qu’ici, on nous apprend à arriver à l’heure au travail à 16 ans, sans avoir besoin d’un Bac+5 ? A bon entendeur, chère Madame ».