Cinéma – « Le rendez-vous de l’été » de Valentine Cadic

Valentine Cadic signe avec « Le rendez-vous de l’été » son premier long-métrage, présenté à la Berlinale en février dernier. Au milieu des foules d’un Paris olympique, la réalisatrice imagine un personnage magnifiquement flottant.
Une drôle de fille
Blandine Bolbec (Blandine Madec) débarque de sa Normandie natale dans le Paris turbulent des Jeux olympiques 2024. En montage parallèle à son arrivée, une autre jeune femme prend ses quartiers : Béryl Gastaldello, capitaine de l’équipe de France de natation et idole de Blandine. L’une s’est déplacée pour voir l’autre concourir, mais rien ne se passe comme prévu : elle ne peut accéder à l’épreuve de natation, son auberge de jeunesse accueille les clients jusqu’à trente ans alors que, manque de pot, Blandine a soufflé la veille ses trente bougies, et Caroline, son amie avec qui elle devait venir, l’a quittée. Heureusement, Blandine a une demi-sœur qui habite Paris, mais qu’elle n’a plus vue depuis dix ans, comme elle l’explique dans le micro d’un journaliste qui semble aussi perdu qu’elle – une manière habile, originale et drôle d’introduire un personnage. Blandine se retrouve donc à squatter le canapé du tout petit appartement de sa frangine Julie (India Hair) pour ces vacances solos qui commencent plutôt mal.
Parallèles
Découvrant ce Paris tout feu tout flamme olympique, Blandine déambule dès lors seule en PNJ (Personnage non joueur), figurante de sa propre vie, comme en apesanteur sur ses pieds, le regard lent mais tendrement observateur de cette ville remplie de groupes d’amis et de couples. Lorsque son regard se pose ailleurs, c’est sur les stories Instagram de Béryl, montrées en plein cadre dans le film, au point de créer une forme de montage parallèle comme manié par la protagoniste du film elle-même. Cette forme de juxtaposition ne manque pas de sens dans un film qui se joue par ailleurs en permanence du double. Il y a d’abord cette nageuse adulée, qui débarque dans la ville et dans le film en même temps que la protagoniste, tout en étant son contraire – elle semble se mouvoir dans Paris comme un poisson dans l’eau. Il y a ensuite la sœur Julie, double par le sang, qui apparait comme une Blandine plus révoltée contre leur histoire familiale commune marquée par l’abandon.
Rencontres
Le film de Cadic n’est néanmoins pas uniquement construit sur ces parallèles. Il multiplie les rencontres saugrenues et en même temps très parlantes avec des passants·es, du réceptionniste de l’auberge qui l’exproprie, au journaliste à la voix oscillante, en passant par l’électricien de la piscine olympique. Sur la route de Blandine, ces situations comiques permettent de révéler avec autant de force que d’humour la manière qu’a Blandine de s’ancrer en tâtonnant dans le monde qui l’entoure. Alors qu’un Français lui crie « Enjoy your trip ! », la prenant pour une touriste d’outre-mer, elle se force à lui répondre en anglais. Lorsqu’elle tente de régler ses problèmes judiciaires quasiment tombés du ciel, c’est à coups de « je crois que vous devriez juste passer à l’affaire suivante ». Ces scènes qui pourraient être potaches ne le sont jamais par leur crédibilité mêlée à de la loufoquerie : celles de la vraie vie. Chez Valentine Cadic, le tragique est ainsi habilement en sous-texte, laissant la lumière tomber sur l’humour. Blandine chemine, d’une démarche flottante comme le synthétiseur bulleux qui l’accompagne parfois dans la bande originale du film. Or, cet état de flottement permet les rencontres loufoques et l’humour autant qu’il brise le cœur. Regardant la fête face à elle, Blandine rit, et le public pleure.
Incarner l’inadaptation
La maitrise d’un·e acteur·rice apparait parfois en une rupture. Dans « Le rendez-vous de l’été », le visage de Blandine Madec se métamorphose en une coupe durant un champ-contrechamp. Brusquement rejetée par sa sœur, la continuité du visage conciliant qui a porté le récit jusqu’ici est alors brisée, le masque du personnage est tombé, en un bref regard transformé. Cadic et sa directrice de casting Laure Cochener choisissent des interprètes fort·e·s de leur étrangeté profondément commune. Blandine Madec et India Hair ont en effet cette force de représentation d’une inadaptation qui devient un mouvement de rébellion. Renforcé par la présence de ces interprètes singuliers, le film propose des vraies premières fois. Ainsi lorsque Blandine prononce le groupe verbal « partager ma vie avec quelqu’un », on entend cette phrase comme si on ne l’avait jamais entendue auparavant, avec le sentiment d’enfin comprendre pleinement l’aspect négatif que peut avoir cette norme sociale.
« Transparente et opaque à la fois »
A la vue du « Rendez-vous de l’été » on peut de prime abord assimiler Blandine à une jeune femme en errance, sans âge ni ancrage. Mais contrairement à l’héroïne du Rayon vert (Eric Rohmer, 1986) avec qui elle partage le trouble des vacances, Blandine ne semble finalement pas si perdue. Valentine Cadic nous laisse d’abord croire à la fragilité de son personnage pour en révéler toute la force dans un second temps. Car de perdition, Blandine n’a que l’apparence de celle qui ne se conforme pas. Sa sœur Julie la décrira comme « transparente et opaque à la fois » ou encore comme une « drôle de fille ». Cela semble finalement être un personnage adoré par sa réalisatrice, qui la regarde avec toute la tendresse qu’elle-même pose sur le monde.