« Femmes au bord de la crise de nerfs » de Pedro Almodovar
Cette année, le Festival de cinéma de la Rochelle, qui dure du 27 juin au 5 juillet, met en lumière deux réalisateurs du cinéma : Claude Chabrol et Pedro Almodovar. Retour sur Femmes au bord de la crise de nerfs qui, déjà en 1988, avait marqué les esprits et s’était imposé comme un classique en devenir, par notre critique invitée du média français Zone Critique : Romane Demidoff.

Romane Demidoff – La nuit tombe et deux femmes discutent sur un balcon : l’une vient de se réveiller d’un long rêve – elle y faisait l’amour pour la première fois – l’autre d’un long cauchemar – elle y défaisait un amour avec tout le fracas et le désordre que peut impliquer cet événement : un lit qui brûle, des policiers inquisiteurs, un colonne de femmes frustrées, les maîtresses de son amant infidèle… Dans Femmes au bord de la crise de nerf (1988), adapté librement de La Voix humaine de Jean Cocteau, Pedro Almodovar met en scène les malheurs de Pepa (Carmen Maura), une actrice de doublage qui essaye tant bien que mal de supporter la rupture qu’elle traverse.
Au désespoir amoureux de Pepa se mêle l’angoisse existentielle de son amie, Candela (María Barranco), qui s’invite chez elle pour tenter d’échapper à des enquêteurs qui la recherchent pour complicité dans une sombre affaire de terrorisme. Flouée elle aussi par l’homme qu’elle aimait, elle a eu le malheur d’héberger une poignée de terroristes chiites – idée fantasque, certes mais, qui n’aurait pas fait de même par amour ? justifie, compréhensive, Pepa avec un haussement d’épaules. Dans Femmes au bord de la crise de nerf, les femmes sont désespérées par les petites lâchetés d’hommes terroristes et menteurs qui se jouent de leur amour et laissent des messages sur leur répondeur, d’une voix qui ne semble qu’être le lointain écho d’un chant d’amour.
C’est qu’ici, tout est affaire de doublure et de doublage. Nul hasard d’ailleurs si Pepa prête sa voix à des stars : elle rejoue le rôle de Joan Crawford dans Johnny Guitar de Nicholas Ray et rencontre à son tour une série de doubles, de femmes plus ou moins au bord de la crise de nerf, de Candela, suicidaire et cœur d’artichaut, à Lucia (Julieta Serrano), tout droit sortie de l’asile et qui semble bien décidée à éliminer son ex-mari. A l’impensable d’un cœur qui explose, Almodovar joint l’invraisemblable d’une intrigue dont toutes les coutures semblent sauter les unes après les autres. Il réactive des scénarios où les rôles féminins et masculins semblent écrits d’avance et s’amuse de la manière dont ils infiltrent nos vies. Jubilation du jeu : mobilisant autant les codes de la telenovela que ceux du film noir hollywoodien – ces héroïnes avec leurs grands yeux mélancoliques d’une époque où elles étaient aimées à leur juste valeur ont toutes des airs de Gloria Swanson dans Sunset Boulevard (Billy Wilder, 1950) – Pedro Almodovar signe une fresque foutraque, loufoque et libératrice qui envoie valdinguer le puritanisme et le conformisme d’une société écrasée par quarante années de franquisme. Un film manifeste de l’esprit de la movida.
Quelque part entre le gaspacho coupé aux somnifères et le précipice d’un balcon madrilène se trouve la réponse à tout chagrin d’amour. Quelques amies, quelques mensonges et la perspective d’un soleil qui se lève sur une ville encore endormie.