Quand la musique donne
Påg au Théâtre du Jorat le 28 juin 2025

Décongeler un groupe suédois des eighties pour le confronter à une bande de crooners italiens tout droit sortis du Vésuve ? C’est le cœur du scénario de Påg 1 – Morning Wood et de Påg 2 – Il Bosco dell’Alba, à découvrir au Théâtre du Jorat ce samedi 28 juin.
Une occasion de se (re)plonger dans ce temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître.
Depuis la tonitruante finale de l’Eurovision ce dernier mois de mai, on aurait pu croire que Bâle garderait jalousement son titre de capitale suisse de la pop kitsch. Il semble pourtant à quelques jours de la double représentation Påg 1 et Påg 2 au Théâtre du Jorat, que Mézières se prépare à faire concurrence à la cité rhénane. Exit toute retenue et toute sobriété vaudoise et place cette fois-ci à un spectacle qui ne craint pas d’utiliser tous les artifices de la pop grand public pour en mettre plein la vue et plein les oreilles à ses spectateurs.
Né de la plume de Christian Denisart, ce projet barré a vu le jour en décembre de l’année passée au Théâtre 2.21 à Lausanne. Un subtil mélange entre Hibernatus et Spinal Tap nous y fait découvrir un groupe pop suédois déluré, les Påg, sorti tout droit des années 80 après avoir passé près de 20 ans bloqué dans la glace. Des Ötzis scandinaves qui n’ont rien perdu, ni de leur verve, ni de leur « eightyness ». Des trémolos dans la voix, dans des costumes aux couleurs claquantes, le quatuor nordique interprète ainsi des classiques de Bon Jovi (Livin’ On a Prayer), Yes (Owner of a Lonely Heart) ou Europe (The Final Countdown).

Mais, ombre au tableau de ces séducteurs du Grand Nord, voilà que leurs historiques rivaux, les Spags, bande de crooners italiens elle aussi disparue pendant deux décennies après une chute dans le Vésuve. Après ces simili-ABBA, nous voici donc confrontés aux rythmes entêtant de l’époque des Umberto Tozzi et autres Toto Cutugno. De jalousie en clash, les deux groupes tirent tour à tour la couverture à eux et chercheront par tous les moyens à prendre le dessus sur leurs meilleurs ennemis.
Pour camper ces deux bandes de joyeux zozos, Christian Denisart s’est entouré de la fine fleur de la scène romande. Pascal Schöpfer (Bra), Pierrick Détraz (Tag), Greg Guhl (Preben) et Christian Denisart lui-même (Morten) font ainsi face à Blaise Bersinger (Rocco), Domenico Carli (Carlo), Vincent David (Enzo) et Salvatore Orlando (Più). Un joyeux mélange d’acteurs, d’humoristes et de musiciens probablement nécessaire pour une production aussi polymorphique.
Pour la première fois, ce 28 juin, les deux spectacles, Morning Wood, qui suit les Påg dans leur chalet suédois, et Il Bosco dell’Alba, qui introduit la rivalité entre les deux groupes, seront proposés consécutivement sur la même journée. L’occasion de se plonger pour quelques heures dans des années 80 aussi souvent
raillées que regrettées.
Difficile en effet de se faire une raison sur ce temps où les baladeurs, les permanentes, les jeans délavés et les synthés dictaient leur loi. Entre les défenseurs du « C’était mieux avant » et ceux du « Plus jamais ça », les avis semblent souvent bien tranchés. Car reconnaissons-le, les mœurs des eighties n’ont plus grand-chose à voir avec ceux de ces dernières années, pour le plus grand bonheur de certains et pour le plus grand malheur des autres. Toujours est-il qu’en bien ou en mal, les années huitante exercent encore aujourd’hui une fascination certaine, un temps si proche et si loin à la fois.
« A l’époque, nous nous lamentions de ne pas avoir connu les fabuleuses seventies ou les bouleversantes sixties, voire les légendaires fifties, résume ainsi Christian Denisart, et de grandir dans le désert culturel des eighties nous désespérait. Si on nous avait dit que quarante ans plus tard elles auraient autant d’aura, personne ne l’aurait cru et on aurait pensé à une cruelle
plaisanterie… »
Et si, à l’heure du conflit des générations, la musique et ce double spectacle à venir pouvaient avoir cette force de rassembler millenials, boomers et gen-Z autour d’un bon moment ? De profiter d’une plongée dans un autre temps, pour n’en retirer que ce qui pourrait rendre notre vie actuelle plus douce ?
Grégoire de Rham